Dans notre pays riche, qui dépense des milliards de dollars en soins et services médicaux, comment comprendre que la population ne soit davantage en santé ?
Au moment où les technologies diagnostiques et les médicaments surabondent, pourquoi autant de personnes malades, surtout malades de l’esprit ou de l’âme, ce qu’on appelle « maladies mentales », ou encore affectées par des maladies chroniques telles que le diabète de type II, les maladies cardiovasculaires et le cancer ? Et de plus en plus jeunes. Serait-il possible que nous ne comprenions tout simplement pas ce qui se joue sous nos yeux, puisque les solutions proposées n’aident pas véritablement à cheminer vers la guérison et encore moins à prévenir la maladie ?
Soyons honnêtes
Il peut devenir difficile de reconnaitre la nature de nos maux, lorsqu’en amont, notre mode de vie même, basé sur la consommation, dont celle de produits et services médicaux, nous en détourne. Notre médecine biopharmaceutique « scientifique » sauve des vies lors de traumatismes et accidents, mais en médicalisant tous les aspects de notre vie, elle cause ou aggrave également certains problèmes de santé chez plusieurs personnes : effets secondaires de médicaments, surdiagnostics et surtraitements, infections nosocomiales, etc.
Avouons-le, nous ne souhaitons pas changer nos habitudes, ni prendre des médicaments pour rien, mais en cas de problème, il est beaucoup plus confortable de nous décharger de nos responsabilités et de confier notre santé à une médecine qui prescrit, teste, prescrit, surtout dans un système ─ ou ce qu’il en restera sous peu ─ qui en assume les frais élevés (remboursés aux pharmaceutiques et cliniques de radiologies privées surtout). Plus facile d’y croire ou de détourner le regard, que de se remettre en question.
Des croyances qui nous gouvernent
Tel le poisson qui ne voit pas l’eau dans laquelle il baigne, nous sommes inconscientes et inconscients du système de croyances fortement enracinées qui nous anime.
Avant même de pouvoir entrevoir l’être humain comme un tout, et réellement comme un tout unifié, nous devons prendre conscience de ces croyances qui nous gouvernent.
En voici quelques-unes.
1. Croyance au paradigme cartésien positiviste
Bien que désuet dans le monde d’aujourd’hui, ce système de pensée continue d’influencer l’humanité entière. C’est l’héritage de la science européenne du XVIIe siècle, où décortiquer, décomposer les problèmes en ses parties, suffisait à prétendre comprendre l’ensemble. On croit au pouvoir de la science de tout régler. Exemple contemporain : notre croyance qu’il vaut (toujours) mieux se faire traiter par des spécialistes. Notre médecine soigne souvent exclusivement là où ça fait mal, sans examiner les causes sous-jacentes et souvent multiples. C’est le cas de problèmes de peau traités par des pommades qui vont projeter la maladie ailleurs dans le corps, ou de douleurs articulaires dont les causes ne se situent pas dans la zone visée, par exemple.
2. Croyance en l’efficacité de la technologie
Les moyens technologiques sophistiqués peuvent diagnostiquer (ou surdiagnostiquer) de mieux en mieux et détecter les moindres dérèglements biochimiques. La médecine devient un business centré sur des appareils et non un art, où deux êtres humains se rencontrent.
3. Croyance en la scientificité de la médecine conventionnelle
Ne confondons pas les outils et les moyens de la science avec la science elle-même. Mesurer, établir des moyennes et des normes, ne signifie pas « science », lorsqu’on discute de la santé d’individus différents. La santé comme la maladie se présentent sous de multiples visages. Il existe des analyses établissant qu’une minorité des interventions médicales sont réellement efficaces. Ce qui suscite de fortes réactions. Les femmes savent bien que la médecine a établi des normes masculines dès ses débuts, qu’elle n’est pas objective.
4. Croyance que la médecine « sait », plus que la personne qui consulte
Voilà un point très important, qui découle des précédents. Il concerne à la fois le consentement éclairé, l’accès à une information indépendante des industries et la dépendance des personnes au système médical pour prendre soin de leur santé. En ce qui a trait à la violence que vivent les femmes, par exemple, ou concernant plus largement leur détresse psychologique, une étude que nous avons réalisée indique que certaines femmes qui consultent ou cherchent de l’aide ne sont pas toujours crues ni même écoutées, pendant que d’autres collectionnent les diagnostics et se gavent de médicaments.
Qu’est-ce qui motive la médecine ?
Au-delà de la science, dont les théories s’avèrent temporaires, contestables, et éventuellement réfutées selon le contexte, quel but motive la médecine aujourd’hui ? Nous avons l’impression que son modèle linéaire ne permet pas de comprendre la complexité humaine et qu’elle est assujettie aux impératifs d’une industrie avide de profits. Bref, qu’elle s’est égarée de sa mission première.
Nous le savons, pourquoi l’acceptons-nous ?
Depuis quelques dizaines d’années, la science occidentale accrédite ce qu’ont découvert la Chine et l’Inde, depuis trois à cinq mille ans : l’unité corps-esprit. Il est reconnu que les pensées, les croyances et les émotions affectent directement le corps et l’esprit, que le physique, l’émotif et le spirituel sont reliés par des mécanismes psycho-biochimiques. Toutefois, nous ni notre médecine n’en tirons réellement les conséquences.
– Isabelle Mimeault, responsable de la recherche au RQASF.
SOURCES
Borch-Jacobsen, Mikkel, La vérité sur les médicaments : comment l’industrie pharmaceutique joue avec notre santé, Paris, Gallimard, 2014, 525 p.
Mongeau, Serge, Pour une nouvelle médecine, Montréal, Québec Amérique, 1986, 163 p.
Réseau québécois d’action pour la santé des femme (RQASF), Changeons de lunettes! Pour une approche globale et féministe de la santé, Montréal, RQASF, 2008, 168 p.