La précarité menstruelle: des actions s’imposent dans le système de santé

Julie, 18 ans, cherche à voir un médecin. Depuis plusieurs mois, voire des années, elle éprouve de fortes douleurs lors de ses menstruations. Malheureusement, elle n’a pas de médecin de famille.

Après plusieurs tentatives infructueuses, elle réussit enfin à obtenir un rendez-vous. Elle doit manquer du travail et trouver un moyen de s’y rendre, mais elle se dit que ça vaut le coup.

Gênée, mais déterminée, elle explique au docteur ses douleurs menstruelles. Il semble insatisfait et lui demande pourquoi elle consulte à la clinique de rendez-vous rapides pour une douleur chronique. Julie, mal à l’aise, ne se sent pas comprise. Le médecin la retourne à la maison avec une prescription de contraceptifs oraux pour sa douleur.

Julie ne sait plus quoi faire et elle n’est pas la seule. Marie choisit de nourrir ses deux grands garçons plutôt que de s’acheter des produits menstruels. Gabrielle ne peut pas prendre congé du travail lorsque ses douleurs menstruelles sont trop fortes. Maryse, 10 ans, éprouve de la détresse chaque mois lorsque ses menstruations arrivent. Sarah est gênée lorsqu’en classe, elle doit demander à sortir pour aller à la salle de bain, tout en dissimulant son tampon dans sa poche. Malheureusement, ce sont 74% des femmes canadiennes qui ont déjà ressenti le besoin, comme Sarah, de cacher leur tampon lors de leurs menstruations[i].

Ces femmes sont affectées par la précarité menstruelle et ses conséquences. Elles n’ont pas accès à des produits menstruels, leurs craintes ne sont pas écoutées, les services d’aide ne sont pas disponibles. Selon une étude québécoise menée en 2020, 12% des femmes interrogées ont « déjà eu, à plusieurs reprises, à faire le choix difficile entre acheter un produit d’hygiène féminine ou un article essentiel de leur liste d’épicerie »[ii].

Pourtant, plusieurs droits fondamentaux sont bafoués chez ces femmes. Les droits à la santé, à l’éducation, au travail, à la non-discrimination, à l’égalité des genres, et à l’eau, entre autres, sont concernés[iii].

Que peut faire le·la professionnel·le de la santé pour prévenir et contrer la précarité menstruelle ?

Au cours des dernières décennies, la formation médicale a délaissé le mode d’enseignement paternaliste pour une approche plus centrée sur la personne. Les nouvelles générations de professionnel·les de la santé sont davantage sensibilisées à la nécessité de mettre l’emphase sur la personne, son vécu et son expérience au travers de la maladie. Il ne s’agit plus d’être directif·ve et autoritaire, mais plutôt à l’écoute et ouvert·e aux suggestions du·de la patient·e. Cette approche centrée sur la personne « encourag[e] la participation du patient aux décisions qui le concernent [et] l’amène à mieux vivre sa maladie au quotidien, à mieux utiliser les ressources du système de santé et in fine [à] accroît[re] sa satisfaction[iv]».

En accord avec cette optique, la formation médicale inclut maintenant plusieurs cours afin de sensibiliser les étudiant·es aux déterminants de la santé et à la diversité des patient·e·s. Parmi ces enjeux figurent la santé des peuples autochtones, la pauvreté, l’égalité de sexe et de genre, l’éducation, l’accès aux soins, l’emploi, les conditions de travail, etc. Malgré ce large éventail, la précarité menstruelle ne fait pas partie du cursus. Elle s’intègre certainement dans une vision plus globale de la pauvreté, sans pour autant être spécifiquement expliquée. Dans le même ordre d’idées, la question des menstruations chez les personnes non-binaires, de genre fluide, intersexe et les hommes trans n’est pas non plus abordée. Il faudrait donc remédier à ces lacunes de la formation afin que les professionnel·les de la santé puissent contribuer à la lutte contre la précarité menstruelle et ses enjeux. Voici quelques stratégies qui gagneraient à être mises de l’avant :

1) Sensibiliser et former les professionnel·les de la santé

Afin de répondre au besoin de la population et être en mesure de recevoir et aider adéquatement une personne vivant de la précarité menstruelle, il faut sensibiliser les professionnel·les de la santé à cet enjeu. Il est essentiel d’être en mesure de reconnaître les situations à risque et les groupes plus vulnérables. Une femme sur quatre vivra de la précarité menstruelle au courant de sa vie[v]. Cette problématique est répandue et touche particulièrement les groupes marginalisés tels que les femmes monoparentales, immigrées, autochtones, peu scolarisées ou encore incarcérées. Une connaissance accrue des facteurs de risque ainsi que l’étendue de l’enjeu est requise afin de cibler les interventions et s’approprier le sujet de la précarité menstruelle. Pour ce faire, le sujet devrait être abordé dans la formation en sciences de la santé.

2) Savoir écouter et normaliser la discussion sur la santé menstruelle et ses enjeux

Il va de soi qu’un·e bon·ne médecin, infirmier·ière, pharmacien·ne, doit pratiquer l’écoute active. En effet, la patiente aura souvent besoin que le·la professionnel·le la questionne spécifiquement sur la santé menstruelle. Selon un sondage réalisé en 2018, 21% des canadiennes sont inconfortables à aborder le sujet de santé menstruelle[vi].

Il faut savoir saisir le moment et respecter l’ouverture de la patiente selon sa tolérance. C’est un juste équilibre à acquérir entre insister ou cesser en laissant la porte ouverte au besoin. Il s’agit d’agir avec délicatesse et respect de la volonté de la patiente ainsi que du contexte culturel.

Afin d’amener le sujet, certaines techniques peuvent être utilisées. Par exemple, le recours à des questions plus génériques peut être efficace afin de mettre la patiente à l’aise. Notamment, lors du questionnaire sur les menstruations, on peut glisser une phrase sur les finances et les enjeux s’y rattachant. Chez la patiente moins ouverte, il peut s’agir de tout simplement mentionner les ressources disponibles au besoin et réitérer le soutien.

Attention à ne pas tomber dans la normalisation des problèmes menstruels. Si une personne vivant de la précarité menstruelle s’ouvre, il faut s’abstenir de négliger ses craintes ou encore banaliser ses inquiétudes. Chaque situation est unique et mérite une écoute inclusive et englobante.

3) Aider et conseiller

Si une femme mentionne qu’elle a des inquiétudes sur sa santé menstruelle, il faut la conseiller, l’aider et la référer aux spécialistes au besoin. Le·la professionnel·le pourra également agir à titre de pont entre la patiente et d’autres services professionnels, tels que les travailleurs·ses sociaux·les.

Il faut également se rendre disponible et prendre le temps nécessaire avec les patientes ; ces quelques minutes pourront avoir un gros impact sur la relation thérapeutique ainsi que sur l’efficacité des mesures entreprises.

Finalement, il peut toujours être pertinent de distribuer des produits menstruels aux personnes dans le besoin.

4) Agir en tant qu’éducateur·rice en santé auprès de la population concernée

Le·la professionnel·le de la santé a le devoir d’éduquer la population sur les enjeux de santé tel que le stipule l’article 14 du Code de déontologie des médecins[vii].

Afin de réduire la stigmatisation envers les menstruations, Le·la professionnel·le doit éduquer les personnes concernées dès la puberté. Il faut normaliser les menstruations tout en éduquant sur les maladies s’y rattachant tels que le syndrome du choc toxique, la dysphorie prémenstruelle, l’endométriose, la dysménorrhée primaire. Il faut que les femmes concernées s’approprient leurs menstruations sans honte et sans restriction. Par exemple, lorsqu’une adolescente se questionne sur la contraception, il peut être pertinent de lui expliquer le cycle menstruel et les changements hormonaux s’y rattachant au lieu de simplement lui prescrire une pilule. Ce faisant, la patiente gagnera ainsi un sentiment d’empowerment sur sa propre santé. La relation patient·e-médecin deviendra alors plus collaborative et participative[viii].

5) Plaidoyer pour des changements

Afin de réellement contribuer à un changement auprès de la société, les professionnel·les de la santé peuvent s’emparer de l’enjeu de la précarité menstruelle sur la scène publique. En effet, le titre de professionnel·le de la santé ainsi que les études qui s’y rattachent s’associent à une certaine crédibilité en lien aux enjeux de santé. Il est alors d’autant plus judicieux d’utiliser ce pouvoir à des fins de changements sociétaux. Il faut normaliser les menstruations, faire connaître l’enjeu de santé menstruelle en plus de militer afin de réduire le nombre de personnes touchées par la précarité menstruelle.

Pour ce faire, le·la professionnel·le peut :

  • Participer à des campagnes de sensibilisation et de mobilisation
  • Faire connaître l’enjeu à ses organisations, ses collègues
  • Signer des pétitions
  • Donner sa voix à des mouvements sociaux
  • Faire des études sur le sujet
  • Militer pour l’instauration de meilleurs cours de santé sexuelle dans les écoles

Des initiatives et mouvements contre la précarité menstruelle sont en effervescence. Le Québec gagnerait à copier des modèles tels que l’Écosse, où toutes femmes nécessitant des produits menstruels peuvent en obtenir gratuitement. Plusieurs initiatives ont d’ailleurs été lancées au Québec en ce sens. L’étude Faciliter l’accès aux produits menstruels publiée par le Conseil du statut de la femme fait état des mesures prises et des pistes de solutions envisageables[ix]. Une province comme la nôtre, axée sur l’accès aux soins de santé, se doit d’instaurer des mesures afin de contrer l’injustice qu’est la précarité menstruelle.

Agir maintenant et adéquatement

Selon une étude menée aux États-Unis, 86% des femmes questionnées ont déjà eu leurs menstruations de façon imprévue et sans accès à des produits menstruels. Ces femmes se disent embarrassées (57%), ennuyées (50%), anxieuses (43%) et paniquées (35%) lorsque cela arrive. De plus, 79% d’entre elles rapportent avoir utilisé du papier hygiénique au lieu de produits appropriés. D’autres quittent leur activité pour aller acheter des protections, si leur budget le permet. Les dispensaires publics dans les toilettes sont souvent vides. Dans certains endroits, les femmes ayant des menstruations doivent s’absenter de l’école, faute de protections[x].

Des statistiques comme celles-ci sont alarmantes et des changements s’imposent. Chacun·e doit contribuer à la lutte contre la précarité menstruelle. Il faut mettre un frein à la stigmatisation de la santé féminine.

Avec l’avènement de campagnes telles que Le Fil Rouge et des actions concrètes telles qu’en Écosse, l’enjeu de la précarité menstruelle se fait connaître et ce n’est qu’un début. Travaillons ensemble pour la santé des femmes et celle de notre société.

Billie Giroux-Fortin

Externe sénior en médecine à l’Université Laval et L.L.B Université Laval



Références

[i] PLAN INTERNATIONAL. « Menstruation in Canada, Views and reality», 2022, URL :  https://www.multivu.com/players/English/9052951-menstrual-health-day-2022/docs/fullreport_1653478588214-747133049.pdf

[ii] CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME. « Faciliter l’accès aux produits menstruels : mesures possibles », (2021),Québec, Conseil du statut de la femme, 117 p. URL : https://csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/produits-menstruels.pdf

[iii] FONDS DES NATIONS UNIES POUR LA POPULATION. « Menstruations et droits de la personne – questions fréquemment posées », (2022), URL : https://www.unfpa.org/fr/menstruations-questions-fréquemment-posées

[iv] FAYN M.-G., DES GARETS V., RIVIÈRE A., « Mieux comprendre le processus d’empowerment du patient », Recherches en Sciences de Gestion, 2017/2 (N° 119), p. 55-73. DOI : 10.3917/resg.119.0055. URL : https://www.cairn.info/revue-recherches-en-sciences-de-gestion-2017-2-page-55.htm

[v] CASOLA A., Luber K., HENDERSON Riley A., MEDLEY L. « Menstrual Health: Taking Action Against Period Poverty ». American Journal of Public Health (2022), URL:  https://doi-org.acces.bibl.ulaval.ca/10.2105/AJPH.2021.306622

[vi] PLAN INTERNATIONAL. « A Canadian gender study » (2018), URL :   https://plca-p-001.sitecorecontenthub.cloud/api/public/content/71f3f5c565434819a9f32820e8e8303d?v=afcd7657

[vii] Code de déontologie des médecins, M-9, r. 17, art. 14

[viii] FAYN M.-G., DES GARETS V., RIVIÈRE A., « Mieux comprendre le processus d’empowerment du patient », Recherches en Sciences de Gestion, 2017/2 (N° 119), p. 55-73. DOI : 10.3917/resg.119.0055. URL : https://www.cairn.info/revue-recherches-en-sciences-de-gestion-2017-2-page-55.htm

[ix] CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME (2021). « Faciliter l’accès aux produits menstruels : mesures possibles », Québec, Conseil du statut de la femme, 117 p. URL : https://csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/produits-menstruels.pdf

[x] « The Murphy’s law of menstruation », sondage mené en ligne par Free the tampons, 2013, URL : http://www.freethetampons.org/uploads/1/1/9/6/119665890/ftt_infographic.pdf