Le RQASF a suivi de près les riches échanges ayant eu lieu dans le cadre du Sommet de la santé durable organisé par Association pour la santé publique du Québec (ASPQ). Nous soutenons l’importance de mettre de l’avant encore et toujours les enjeux en lien avec la prévention et la promotion de la santé. Nous apprécions la reconnaissance des dimensions globales qui influencent la santé des populations, telles que les dimensions environnementales ou sociales. Nous saluons le travail de toutes les personnes qui ont contribué à la mise en œuvre de ce sommet et qui œuvrent à une conception plus étendue et ouverte de la santé.

Cet événement nous a donné l’occasion de prendre un temps de recul pour mettre en mots des malaises de longue date. C’est ce que nous proposons dans ce billet d’opinion, en espérant que cela puisse contribuer à nos cheminements respectifs dans nos façons d’appréhender la santé autrement voire durablement.

Se remettre d’un traumatisme collectif

De par notre travail en santé des femmes, nous ne cessons d’être témoins de toutes sortes de détériorations de leurs conditions de vie tant au niveau social, économique que de la santé physique et mentale. Ce fut particulièrement le cas depuis la période 2020-2022, dite de la crise sanitaire. Nous avons fait face à une ère de dégradation à une multitude de niveaux.

Nous avons été témoins d’une fragilisation du tissu social, alors qu’il est une fondation à toute considération de promotion de la santé. Nous avons été témoins d’un appauvrissement inouï du discours public en santé, réduit au référent virologique et vaccinal. Nous avons été témoins, à certains égards, de l’instrumentalisation de la science et de la santé publique à des fins politiques. Nous avons été témoins de la restriction de la liberté d’expression. Nous avons été témoins de la peur et de la division. La liste est encore longue.

Nombreux sont ceux qui se retrouvent dans l’incapacité de créer des espaces pour gagner en résilience par rapport à ce que l’on pourrait appeler, sans trop exagérer, un traumatisme collectif. Nous aurions souhaité que cet événement d’envergure et de santé publique puisse aussi avoir été l’occasion d’ouvrir des espaces de dialogue et de débats vis-à-vis de ces tristes involutions. N’est-ce pas là une base pour commencer à se remettre en lien, puis peut-être commencer à réparer ce qui a été entravé ? Il semblerait que nos réflexes soient de l’ordre du comme avant, du déjà-vu. Nos sociétés ont changé, mais qu’est-ce qui a changé substantiellement dans nos résolutions ?   

Durable, qu’ils disaient

Le terme durable nous évoque non pas le momentum onusien riche de promesses idéalistes pour un monde meilleur, mais surtout la durabilité et la dure réalité des luttes menées pour des gains minimes notamment en santé des femmes, voire des reculs en la matière (santé mentale et médicalisation, violences en tout genre, etc.). De nos jours, pour être bien enligné et apparaitre comme une entité qui promeut le changement positif, il semble nécessaire de marcher au rang des nouvelles grandes orientations qui globalisent, généralisent, structurent, homogénéisent une réponse à un ensemble d’enjeux (ceux-ci, bien réels malheureusement). Nous pensons détenir les solutions de demain – le Bien se met en action – symbolisées par l’épinglette que portait le Dr Horacio Arruda sur son veston. Cette épinglette évoque le Programme de développement durable de l’ONU d’ici à 2030 et ses objectifs dont le troisième concerne la santé pour tous.

Évidemment, nous saluons les bienfaits concrets que ces objectifs pourraient apporter localement, dès lors qu’ils inspirent et valorisent les acteurs œuvrant sur le terrain qui ont à cœur un changement de paradigme. Nous aussi nous œuvrons dans le sens de ce changement. Là, n’est pas le point. Cependant, il nous apparait urgent, surtout depuis les années 2020-2022 et le recours croissant aux firmes-conseils privées telles que McKinsey, de pointer le statut supragouvernemental des orientations de ce type et la cooptation des forces gouvernementales, institutionnelles, académiques et autres qui en découle. Même la recherche se voit orientée par rapport au fameux moule, à défaut, courant le risque d’être privée de moyens. Il faut se rendre à l’évidence : les questions de santé qui nous concernent nous échappent de plus en plus.

Les Objectifs de développement durable (ODD), comme beaux principes généraux, ne sont pas toujours clairement définis quant à leur mise en œuvre concrète. La santé durable, elle, est basée sur la définition de l’OMS qui encourage la quête d’un état de bien-être physique, mental et social complet. Cette complétude nous apparait quelque peu idéaliste, car le vivant est par nature vaste et imprévisible. Il suit ses propres lois. Il semble tout au plus adéquat –, et ce, de manière très humble – de parler du meilleur état d’équilibre dynamique (pour reprendre les termes du Dr Yves Donadieu) qu’il est possible d’atteindre dans telle ou telle circonstance. Ce « meilleur » état est changeant, inconstant et dépendant d’une multitude de facteurs que la santé durable reconnait elle-même. La fragilité, la vulnérabilité et la mort en font intégralement partie. Rien ne peut être garanti, encore moins pour tous. On ne peut que faire de son mieux, individuellement et collectivement, en commençant par arrêter de se mentir.

La complétude et la perfection, quant à elles, nous poussent vers la normalisation des politiques de 2020 ou du zéro Covid. On passe alors totalement à côté de la santé, car c’est une lutte sans fin contre la maladie que nous menons, entretenant au passage la médicalisation et les profits. Cet idéal de santé complète comporte également le risque de normaliser le contrôle et la gestion technocratique et numérique de pans de plus en plus larges de la vie humaine et de celle des écosystèmes : organisation de la vie sociale, des dimensions environnementales et de mode de vie, etc. Élargir la conception de la santé vers une vision globale peut tout autant être un élément fondateur de la promotion de la santé des populations que la justification d’un élargissement des lieux d’établissement de plus en plus larges de ce type de compétence.

Nous sommes également d’avis que les ODD effacent les différences de valeurs et aplanissent les conceptions sensibles et multiples de la santé et de la vie. Ils pourraient s’avérer contre-productifs, surtout dans une mise en œuvre top-down qui revêtit pourtant une apparence horizontale et populaire. En effet, l’avancement de cet agenda se fait dans une visée qui se louange d’être la plus participative et inclusive possible. L’équité, la diversité et l’inclusivité (EDI), devenues si populaires dans les dernières années, aident à cela. Quand bien même ils sont porteurs de valeurs que nous incarnons et avec lesquelles nous travaillons depuis plus de 25 ans, le comment de leur mise en œuvre nous questionne quelque peu. L’inauthenticité voire l’instrumentalisation de ces valeurs pour du bien-paraître sont des risques réels.

Rappelons que l’appropriation de ces ODD par les communautés est une condition sine qua non à la faisabilité de leur mise en œuvre. Pourtant, participer ne veut ni dire être écouté ni pris au sérieux. Participer reste un privilège. Participer peut aussi être instrumentalisé pour donner l’impression que la population a été écoutée et qu’elle approuve les orientations préétablies. Aussi, on valorise les marges, on lutte contre les discriminations, mais seulement celles qui sont valables aux yeux de la bien-pensance ambiante. Par exemple, la discrimination basée sur le choix, comme celle des personnes non vaccinées, a été en grande partie tolérée, voire encouragée. Si l’on discriminait les femmes qui refusent d’allaiter pour le bien de la santé future de leur enfant (pour celles qui ont cette possibilité) en leur retirant un congé maternité payé voire en instaurant une interdiction de retour au travail, l’indignation ne tarderait probablement pas. L’indignation est sélective.

L’inclusivité ne concerne pas non plus les herboristes. Quoi de moins polluant pour l’environnement, de plus accessible et de plus durable que des plantes médicinales qui ont soutenu la santé et le bien-être des êtres humains depuis des millénaires ? Ce n’est pas demain que l’herboriste du coin sera sollicité pour discuter du rôle des plantes médicinales dans le système de santé du futur, de leur propension à complémenter les soins préventifs, à diminuer la pollution médicamenteuse des écosystèmes ou encore les coûts de santé. Il faut encore rappeler qu’il existe des usages des plantes fort valables et que les sagesses millénaires qui nous ont précédées ne relèvent pas à 100% du charlatanisme. La diversité de pensée, elle aussi, a encore beaucoup de mal.

Les discours vertueux comme moyen pour faire perdurer un système

Qu’est-ce qui peut réellement changer dans une course au développement qui se pare de durabilité ? Dans les faits, en santé, les solutions profitables aux industries continuent inexorablement à être privilégiées comme réponses aux problèmes (médicaments, vaccins, technologies, etc.). L’industrie, les organisations internationales et autres fondations développent, infiltrent et orientent diverses sphères de ce monde à leur guise de manière on ne peut moins discrète. On pense aux partenariats public-privé si chers au Forum Économique Mondial et que l’on retrouve dans l’ODD17 intitulé Partenariats pour la réalisation des objectifs. Les conflits d’intérêts gangrènent l’OMS et l’ONU, mais grâce au détournement cognitif opéré à grande échelle leur autorité perdure miraculeusement.

La santé durable est-elle cette voie de changement tant attendue ? L’avenir nous le dira. À ce jour, il semble y avoir un monde entre les discours et la réalité observable. Plus les discours pour un monde meilleur sont répétés haut et fort, plus c’est l’inverse que l’on observe autour de soi : nous sommes de plus en plus malades, de plus en plus dépendants des médicaments, de plus en plus pauvres, de plus en plus isolés, de plus en plus aliénés, etc. Les beaux discours ne sont plus suffisants pour camoufler le réel.

Les cadres comme les ODD et l’EDI ont une propension assez spectaculaire à créer ce genre de discours vertueux et autres lieux communs sur lesquels tout le monde s’accorde. Cela peut faire perdre un temps précieux aux acteurs qui s’attèlent à la résolution d’enjeux qui nécessiteraient une remise en question réellement fondamentale et que les ODD ne permettent pas forcément de faire. En effet, ils sont basés sur la croyance qu’il est possible d’assurer un avenir prospère, équitable, respectueux tant de la santé que de l’environnement dans le cadre du système économique actuel. Faut-il encore rappeler que c’est lui la principale cause des malheurs que nous cherchons à résoudre ?

Derrière les discours, l’impuissance

Même si les changements sont à envisager préférablement dans une perspective qui diffère quelque peu de l’élan de globalisation onusien, le besoin de changements demeure criant. Horacio Arruda nous dit que cela prend des citoyens qui se lèvent et qui demandent de la prévention comme ils demandent l’accès aux soins. On a aussi entendu dire que de multiplier les politiques ne fera rien s’il n’y a pas de volonté ou un travail de la communauté derrière. C’est évident, mais est-ce équitable de dire cela dans un contexte d’exacerbation des inégalités sociales, mais aussi d’inégalités quant au pouvoir d’agir ? Pourra-t-on réellement arriver à des changements dignes de ce nom ?

La capacité d’agir, comme individu et comme collectivité, sur les dimensions qui affectent notre santé est, en soi, une dimension essentielle au bien-être et à la santé. L’impuissance n’a jamais fait du bien à personne. D’un côté, notre pouvoir sur nos collectivités et nos propres vies s’effrite. Chacun s’agite à sa manière dans un tissu social abimé. L’épuisement, les conditions de financement, de travail, la hiérarchisation et la subordination rendent l’action créatrice difficile. Pour beaucoup, c’est la survie. Une chose est sûre, le manque de prise face aux enjeux qui nous dépassent est le témoin d’une souveraineté populaire qui s’érode. A-t-elle seulement existé ? De l’autre, la capacité d’agir est telle qu’il est possible de distancier, de confiner et de vacciner le monde entier en un temps record. Pendant que la volonté des uns se matérialise, les autres suffoquent. On ne se bat clairement pas à ressources égales.

La santé de demain

Avant de vouloir changer le monde (de la santé), changeons d’abord nos représentations. Avant d’en faire toujours plus au nom de la santé, comme d’« améliorer » et de « booster » les systèmes immunitaires de milliards d’humains à coup de technologie expérimentale, pensons d’abord à la préserver.

Pour reprendre les mots de Corinne Lalo, au lieu de continuer la fuite en avant de l’humain augmenté, commençons d’abord par ne pas le diminuer. Qu’attendons-nous pour légiférer sur les perturbateurs endocriniens et autres poisons comme le sucre ? C’est peut-être là la plus belle idée d’une santé durable : le respect de ce qui nous est donné d’office, la santé en faisant partie.

Idéalement, la santé, sa conception, sa préservation et sa promotion, devrait être démocratisée et plurielle. Elle serait prise en main par des communautés en quête de souveraineté, au mieux des moyens dont elles disposent pour s’autodéterminer. Bien que les mots soient parfois les mêmes – santé, équité, prévention, etc.– leur lieu d’émergence est radicalement opposé, les actions qui en découlent aussi. C’est le nœud, le point clé qui déterminera le comment de la mise en œuvre de ces beaux principes. Nous espérons que la force créatrice de la communauté qui se préoccupe des questions de santé au Québec ne servira pas uniquement de terreau fertile à la seule acceptation, implémentation et mise en œuvre d’un des volets du Programme de développement durable de l’ONU. Nous espérons qu’elle regarde beaucoup plus loin, car on mérite mieux.