Sarah-Maria Leblanc est herboriste-thérapeute accréditée (HTA) spécialisée en santé des femmes et praticienne psychosociale (M.A) qui pratique internationalement, à distance et en personne.

Lorsque je demande à mes clientes ou mes étudiantes si elles aiment leurs menstruations, nombre d’entre elles me regardent étrangement. On me répond alors : « tolérer oui, mais aimer ?? » ou bien « je t’avoue que si je pouvais m’en passer, je le ferais » …  sans oublier la trop répandue : « j’ai tellement mal que pour l’instant je les déteste ».

Il est difficile d’aimer quelque chose qui nous fait mal et qui nous met dans tous nos états, surtout quand l’idéologie dominante depuis longtemps semble proposer qu’elles soient impures, maléfiques ou carrément inutiles et néfastes! Le discours biomédical autour des menstruations est bien ancré dans notre psyché et même dans notre propre corps… De ce fait, il semble que peu de femmes en font l’expérience autrement que comme un événement purement biologique (et un peu dérangeant), comme en fait mention Nesrine Bessaïh (2003, p.74-75).

Briser les tabous

Dans les sociétés patriarcales, il y a bien longtemps que nos règles sont objet de discussion et de dégoût. Dans la Grèce Antique, Pline l’Ancien et Paracelse nous disaient, respectivement, qu’il n’existait rien de plus monstrueux que le sang menstruel ou qu’il était le pire des poisons (Célérier, 2005, p.34) ! En fait, il y a longtemps qu’on croit que le sang menstruel est « poison » ou « toxique » : on en trouve par exemple des traces à Babylone, en Perse, en Égypte ancienne et bien sûr dans la Bible, plus proche de nous. Il y a donc tant à faire pour briser les tabous et croyances transmis de génération en génération entourant cette période importante de notre cycle. 

Pourtant, de plus en plus de femmes souhaitent se réapproprier leur cycle menstruel. J’ai pu voir depuis quinze ans une augmentation des femmes qui souhaitent faire la transition d’un cycle sous anovulants à un cycle au naturel. On constate un engouement de plus en plus grand pour la symptothermie, qui permet non seulement d’avoir plus de contrôle sur sa fertilité ou sa contraception, mais également de mieux connaître son corps. Comment faire, alors, pour apprivoiser et aimer nos menstruations ? Et s’il s’agissait simplement de changer de regard ? 

Voir autrement 

De façon traditionnelle et contemporaine, les menstruations peuvent être perçues et vécues positivement dans certaines cultures, comme nous l’apprend Toni Wesschler dans Cycle Savvy. Parlons comme exemple le Raja Parba, le festival des menstruations. Selon Frédérique Apffel-Marglin, celui-ci a lieu du 14 au 18 juin en Inde dans la province d’Orissa, où l’on croit que la Terre menstrue pendant cette période. C’est un temps de congé pour tous et toutes : les hommes quittent le village et passent cette période à prier aux temples et à offrir des offrandes aux femmes du village. Quant aux femmes, elles restent au village et célèbrent ensemble de diverses manières leurs menstruations. Plus proche de nous, parlons des « loges de femmes », ou « loges de lunes », qui prenaient place traditionnellement dans plusieurs communautés autochtones de l’Amérique du Nord. La chercheuse Virginia Peters Bergman (2000) s’est intéressée à la coutume de la loge de femmes dans les communautés autochtones du Plateau Nord-Ouest du Pacifique. Ces loges étaient construites par les femmes elles-mêmes, avec des matériaux qu’elles collectaient, dans des endroits considérés comme puissants. Dans ces espaces réservés aux femmes se vivaient les rites de puberté des jeunes filles, les menstruations des femmes, les accouchements tout comme la transmission des savoir-faire « des femmes » par les aînées, comme l’artisanat. Ce ne sont que quelques exemples d’autres façons de voir et vivre nos menstruations !

Nous pouvons nous inspirer de ces anciennes traditions pour deux choses importantes : l’importance de ritualiser ce temps du mois et s’arrêter. Si déjà, nous prenons un temps pour être avec nous-mêmes pendant cette période, nous avons un bout de chemin de fait dans le changement de regard. Ainsi, s’arrêter quelques heures pour saigner en paix, dans notre société hypermoderne, constitue un acte d’autosoin féministe presque subversif ! Quant au rituel, il fait partie de nos vies sans même que nous le sachions : pensons au « Vin-dredi », à la traditionnelle dinde de Noël, au souper de St-Valentin, etc. Pourquoi ne pas accomplir un acte rituel pour soi, une fois par mois, qui honore notre corps et notre cycle si riche en possibles ? S’habiller de rouge, prendre un bain chaud avec certaines huiles, boire une tisane particulière, mettre des culottes menstruelles confortables, faire notre bilan intérieur du mois dans un journal à cet effet ne sont que quelques exemples qui, refaits au fil du temps, finissent par tisser un lien d’amitié durable entre nous et nos menstruations.

Bien sûr il peut être pénible d’apprécier ce temps lorsque nous avons mal. À ce sujet, il faut lire notre article sur la question et découvrir tous les trucs qu’on donne dans notre guide. Il sera parfois nécessaire de faire certains changements alimentaires, de prendre certains suppléments ou certaines plantes médicinales et même d’être guidée par un.e professionnel.le en médecine intégrative spécialisé.e en santé des femmes. Dans certains cas, il sera important d’investiguer plus loin : la dysménorrhée peut souvent être causée par l’endométriose ou adénomyose, les fibromes, ou même les troubles inflammatoires de l’intestin. 

Plusieurs lectures peuvent nous aider à changer de paradigme intérieur face aux menstruations, que ce soit l’indémodable classique « Femme qui court avec les loups » de la psychanalyste Clarissa Pinkola Estès, « Le sang de la lune » de la chercheuse Andrée Hamelin ou « Sagesse et pouvoirs du cycle féminin » coécrit par l’auteure de ce billet avec Marie-Pénélope Peres. Au niveau de la réappropriation de notre santé de femme, j’ai également vu des résultats impressionnants chez certaines clientes qui ont décidé de réfléchir sur leur lignée de femmes et d’étudier leurs transmissions transgénérationnelles, ce qui m’a démontré les promesses de l’épigénétique. Enfin, pour faire fleurir les semences de ce début d’amitié avec nos menstruations, il peut être soutenant de joindre un groupe d’affinité qui partage une vision plus positive de ces dernières, que ce soit un cercle de femmes, un collectif féministe, une association de soutien à la santé menstruelle comme Menstrual Health Hub, ou à la santé utérine comme Endométriose Québec ou Vivre sans fibromes . 

En conclusion, il est impératif que nous nous réappropriions notre corps de femme. Cela passe par transformer la vision que l’on a de nos menstruations et même, on vous le souhaite, l’amour de ces dernières. J’ai vu, pour ma part, plus d’une centaine de femmes passer de « oh non, l’armée rouge est revenue… » à « super, enfin venu le moment du mois de mon cocon-douceur ! » et à chaque fois, cela nourrit l’espoir qu’un jour nous vivions dans un monde qui prend en compte et même honore le vécu corporel des femmes. 

Article écrit par Sarah-Maria LeBlanc (M.A., HTA) collaboratrice au RQASF et membre individuelle. 

Références bibliographiques et lectures suggérées

Bergman Peters Virginia (1995) Women of the earth lodges : tribal life on the plains, North Haven, Archon books.
Bessaïh, N. (2003). Que le sang coule. Des femmes et leur expérience des menstruations. Mémoire de maîtrise. Université McGill, Montréal, Québec.
Célérier, M. (2005). Le sang menstruel. Champ psychosomatique, no 40(4), 25-37. https://doi.org/10.3917/cpsy.040.0025
Estés, C. P. (1996). Femmes qui courent avec les loups. Paris, France : Le livre de poche. Hamelin, A. (2012) Le sang de la lune, la physiologie des menstruations. Sainte-Agathe-des-Monts,  Québec : Éditions TreizeMères. 
Pérès, M-P.et LeBlanc, S-M. (2017). Sagesse et Pouvoirs du Cycle Féminin. Santé, fertilité et plantes amies : découvrez tous les secrets de votre bien-être. Paris : Le Souffle d’Or, Coll. « Des femmes et des hommes ».
Sharma, A. (Ed.). (2005). Goddesses and women in the Indic religious tradition (Vol. 24). Brill.
Weschler, T. (2011). Cycle Savvy: The Smart Teen’s Guide to the Mysteries of Her Body. Harper Collins.