Ma recherche sur la manière la plus efficace de guérir la douleur de nos règles et de combler le vide substantiel qui les entoureTraduction du texte de Jasmine Wong, Blue Review Building 21, McGill University, Summer 2018. Disponible en ligne ici.

Cet été, j’ai commencé le projet B21, en me demandant pourquoi les règles font si mal. Si l’évolution avait son mot à dire, ces processus de rajeunissement naturel du système reproducteur ne devraient pas provoquer une telle détresse. Et pourtant, dans la culture que je connais le mieux les règles sont un événement détesté et je voulais savoir pourquoi. Après avoir étudié par le passé la façon dont on pouvait améliorer de nombreuses choses qui rendent l’accouchement douloureux et horrible, je me suis rendue compte qu’il devait y avoir une réponse au problème des règles. Il *doit* y avoir une meilleure façon d’être une femme dans ce monde.

Dans le cadre de ce projet, j’ai donc cherché du côté de l’univers de la recherche médicale pour finalement me retrouver devant de très nombreux d’articles qui étudiaient les facteurs modifiant et intensifiant les douleurs menstruelles. Régime alimentaire, médicaments, autres conditions médicales ; niveau d’exercice, poids corporel ; dépression, stress et anxiété ; même le stress que votre mère a subi lorsqu’elle était enceinte de vous tout cela entre en ligne de compte. Et ce ne sont là que quelques-uns des nombreux facteurs connus susceptibles d’affecter vos règles.

Après avoir obtenu un baccalauréat en psychologie et en études du développement international de l’Université McGill, Jasmine Paquette Wong est devenue l’une des premières boursières BLUE du Building 21 de McGill. Elle y a étudié les douleurs menstruelles, et ironiquement, ce fut pendant sa grossesse. Depuis lors, elle a eu successivement deux beaux bébés allaités et attend avec impatience le jour où elle aura à nouveau ses règles pour appliquer enfin tout ce qu’elle a appris.  

Mais si nous connaissons déjà les facteurs qui causent ou augmentent les douleurs menstruelles, pourquoi ne serait-il pas plus naturel pour nos médecins d’évaluer avec nous toutes ces choses ? Malgré les écrits médicaux qui existent sur le sujet, les menstruations sont encore traitées avec trop de négligence par la médecine occidentale. Pour autant que je puisse juger, rien ne semble justifier qu’un degré quelconque de douleur soit considéré comme normal, quel qu’il soit. Pourtant, les médecins ont tendance à accepter comme normal l’existence d’un certain niveau de douleur pendant les règles, bien qu’ils ne soient pas du tout capables de déterminer réellement où se situe ce seuil invisible de normalité. Cette tendance à l’accepter sans raison lors des menstruations pose un problème réel, voire dangereux pour de nombreuses femmes souffrant de dysfonctions menstruelles graves, tels que l’endométriose ou les kystes ovariens, qui ont été négligées ou tout simplement rejetées en raison de l’incapacité des médecins à reconnaître leur douleur menstruelle. Mais les médecins ne sont pas entièrement responsables de cette tendance terrible à sous-estimer la douleur. Ils ne disposent que de dix minutes pour rencontrer chaque patiente. Dans ce contexte, la suppression hormonale (qui ne fonctionne certainement pas pour tout le monde ou, du moins, non sans effets secondaires indésirables) apparaît alors comme une solution facile à adopter face à de nombreux problèmes menstruels qui touchent les femmes.

Frida Kahlo, La colonne brisée, 1944
Peinture à l’huile sur masonite
Musée Dolores Olmedo, Xochimilco, Mexico, Mexique

Je n’ai pas aimé l’idée que ce qui unit les femmes est l’expérience commune de la douleur physique. Il doit y avoir un meilleur paradigme de la féminité. Il doit y avoir une meilleure façon d’être une femme.

Jasmine Paquette Wong

Si l’on consulte un naturopathe, plusieurs choses pourraient être faites en pratique pour aider à soulager les douleurs menstruelles de façon naturelle. En effet, en changeant ses habitudes de vie, on peut trouver assez précisément le problème et, en plus, le traiter efficacement. Par exemple, si l’on consomme trop de sucre, le foie peut se bloquer, ce qui peut exciter l’hypothalamus et le pousser à sécréter trop de prostaglandines, provoquant des contractions utérines excessives qui seraient à l’origine de la douleur. En effet, le fonctionnement des autres organes et la santé mentale de la personne ont un impact important sur son hypothalamus, et si l’hypothalamus est en piteux état, cette personne-là l’est aussi lors de ses règles.

Ainsi, dans mes recherches sur la façon dont les femmes de différentes régions du monde perçoivent les menstruations, j’ai découvert que beaucoup d’entre elles les considèrent comme un indicateur de santé précieux, ce qui les encourage à évaluer leur propre santé chaque mois. La quantité de saignements, les types et les niveaux de douleur et d’autres symptômes pourraient servir aux femmes d’indicateur de l’efficacité des changements de mode de vie ou d’une maladie quelconque. Si elles n’avaient pas de règles, prétendent-elles, elles ne sauraient pas si elles sont malades ou non! Certaines de ces femmes se préparent même aux symptômes du SPM en planifiant des consultations avec leur famille à propos de l’état de santé de chacun de ses membres pendant cette période où elles sont les plus sensibles et donc les plus susceptibles d’agir. J’ai adoré le fait que les changements hormonaux ne sont pas considérés comme des déséquilibres dans ces communautés, mais comme des occasions d’évaluer et d’analyser régulièrement leur qualité de vie globale.            

Si on ne peut pas compter exclusivement sur nos médecins pour notre santé menstruelle, et si certaines d’entre nous n’ont pas de naturopathes, vers où devrions-nous nous tourner pour recevoir un traitement adéquat ? Quelles sont les sources possibles de guérison pour la société dans son ensemble quant à son rapport malsain avec les menstruations ? Je soutiens que cela commence à la maison avec les femmes elles-mêmes, et surtout avec les mères de jeunes filles. À l’évidence, ce sont, pour moi, les prestatrices de soins de santé les plus appropriées dans la vie d’une femme.

En étudiant l’aspect socioculturel de la gestion des menstruations, j’ai découvert qu’il existe un facteur intergénérationnel important quant à la façon dont on les vit. Ce sont les mères qui jouent un rôle clé dans la manière dont les filles apprennent à connaître et à gérer leurs règles lorsqu’elles surviennent durant la puberté, et quand ces jeunes femmes ont honte, sont mal informées, mal préparées, lorsqu’elles manquent de confiance, sont peu éduquées ou prêtes à agir. Tous ces éléments changent aussi la donne pour les filles.

Je voulais trouver des cultures où les menstruations sont une chose positive, et déterminer  si une telle société existe. Et il s’avère qu’à travers le monde, de nombreuses cultures indigènes pratiquent ou ont pratiqué pendant des millénaires des rituels d’isolement menstruel d’une manière qui a permis aux femmes de devenir plus fortes, et a bénéficié à leur communauté. Lorsqu’il est question d’isolement menstruel, nous pensons souvent aux femmes qui sont rejetées pendant leurs saignements en raison de la malpropreté, de la honte et de l’impureté associées aux menstruations dans leur culture. Ceci dit, après avoir examiné le thème commun de l’isolement dans les pratiques menstruelles dans les endroits les plus divers du monde, je me suis penchée sur les racines communes potentielles de ces pratiques.

Depuis des millénaires, le corps des femmes a été l’expression ultime des histoires de création pour de nombreuses cultures. La façon dont il change avec les cycles de la lune fait écho à la façon dont la terre était faite à différentes périodes, à la façon dont la lumière va et vient pendant le jour et la nuit, à la façon dont les saisons transforment toutes choses en modifiant leur état, à la façon dont la marée monte et descend. Les femmes étaient des formes sacrées du grand archétype, la Terre Mère, de laquelle découle toute vie et toute mort, toutes choses évoluant avec son corps.

Ma foi, en tant que membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, comporte divers éléments que je peux utiliser pour me considérer, moi aussi, comme une expression du féminin divin. Je peux voir de nombreuses façons dont les autres religions et milieux spirituels peuvent également le trouver, ce divin, en eux. Ces rites et rituels d’isolement ont servi à évoquer la Terre Mère aux femmes et à leur entourage, ainsi que leur propre importance en tant qu’êtres sacrés, voire magiques, dans ce monde de mortels. L’implication des femmes à ces pratiques a donné une nouvelle impulsion à leur participation au processus du renforcement de leur potentiel et un nouveau sens à la notion du « féminin divin ».

Georgia O’Keefe, Mufliers rouges, 1923
Huile sur toile

Quelles sont les sources possibles de guérison pour la société dans son ensemble quant à son rapport malsain avec les menstruations? Je soutiens que cela commence à la maison avec les femmes elles-mêmes, et surtout avec les mères des jeunes filles. À l’évidence, ce sont, pour moi, les prestatrices de soin de santé les plus appropriées dans la vie d’une femme.

Jasmine Paquette Wong

Même si je ne peux pas avoir de loge lunaire pour m’isoler pendant les saignements mensuels ou partager bien des croyances et autres pratiques que ces nombreuses et différentes cultures créent autour du phénomène des menstruations, j’espère que je pourrai trouver des moyens pour les redéfinir sous un angle positif. En effet, peu importe à quel point notre société devient post-féministe, si tous nos souvenirs des menstruations se forment exclusivement dans la salle de bain ou sont associés aux toilettes et aux ordures, les règles seront toujours, toujours difficiles, ennuyeuses, négatives et même honteuses. D’abord et avant tout, nous devons commencer à utiliser nos périodes de lune comme un indicateur de santé précieux en expérimentant à l’échelle individuelle des changements de mode de vie qui amélioreront la situation en termes de douleur et d’inconforts menstruels. Et deuxièmement, il nous faut trouver dans chacun de nos propres systèmes de croyances où se situe le féminin divin, et donner plus de sens à notre conception du phénomène des périodes de lune, en en faisant plus qu’un simple hasard naturo-médical mensuel. Suite à mes efforts de recherche dans le cadre du projet Building 21 pour la bourse BLUE, mon hypothèse sur la façon de changer le monde est que si les femmes elles-mêmes, et surtout les mères, arrivent à faire ces deux choses, nous pourrons efficacement relever les menstruations du marasme dans lequel notre culture les a plongés et leur redonner la beauté qui a toujours été la leur.

Illustration principale du billet:

Georgia O’Keefe, Sans titre (Abstraction Ligne Verte et Trois cercles rouges), années 1970
Aquarelle sur papier
Don de la Fondation Georgia O’Keefe
Copyright Musée Georgia O’Keefe

J’envisage un temps où il est normal pour tous d’honorer la femme comme l’expression sacrée de nos histoires de création. (traduction libre de l’anglais)

Cindy Gaudet