Marie-Pier Deschênes est diplômée de la maîtrise en travail social et formatrice au niveau du bien-être menstruel. Elle accompagne des femmes partout dans le monde vers l’équilibre de leur écosystème menstruel.

Et si on parlait du cycle menstruel autrement? : quelques pistes de  réflexion 

Quand on parle du cycle menstruel, à quoi pensez-vous? Fort probablement aux  saignements mensuels, au syndrome prémenstruel et aux désagréments qui y sont  (très ou trop souvent) liés. C’est habituellement de façon négative que l’on réfère au  cycle, même entre nous malheureusement.  

Et si on s’offrait collectivement le droit de parler du cycle autrement? Il est possible  (même suggéré je dirais) de réfléchir au cycle menstruel sous différents angles, avec  nos saisons intérieures (les 4 phases hormonales distinctes de notre cycle menstruel)  par exemple. Selon cette idée, notre cycle menstruel serait divisé en quatre saisons  distinctes, soit l’hiver, le printemps, l’été et l’automne, du début des menstruations  jusqu’au dernier jour avant les prochains saignements.  

On peut alors se demander : percevoir le cycle menstruel différemment, qu’est-ce que  ça change? Pourquoi tout cela pourrait être important et surtout, comment ce  processus remet en question les façons dont on aborde les menstruations  aujourd’hui? Voici mes pistes de réflexion. 

Voir notre cycle comme une boussole  

En observant quotidiennement les fluctuations de notre cycle menstruel, on se rend  rapidement compte que celui-ci peut nous servir de boussole afin de nous orienter  dans nos choix et nos actions au quotidien si nous y sommes suffisamment sensibles.  Ce qui est fascinant avec notre nature cyclique, c’est de prendre conscience d’une  certaine prévisibilité (ex. comportements et émotions qui reviennent au même  moment au cours du cycle) et également de se rendre compte qu’elle est une  ressource qui nous guide à trouver des réponses au fond de nous. 

Combien de personnes utilisant un contraceptif hormonal ou ayant une  méconnaissance des principes de base qui régulent notre cycle sont privées de cette  boussole? Beaucoup trop à mon avis!  

J’estime que notre cycle est un outil infiniment puissant et que nous ne sommes pas  obligées de travailler contre lui. Apprivoisons ce super-pouvoir! 

Mettre un frein à l’invisibilisation des menstruations  

Une récente discussion m’a amenée à réaliser à quel point les menstruations sont un  enjeu que l’on souhaite rendre invisible à tout prix. Que ce soit en y associant des  sentiments de gêne et de honte (qui n’a jamais caché un tampon ou une serviette 

dans sa manche pour se rendre aux toilettes), en occultant les menstruations des  recherches scientifiques ou en ignorant sans arrêt la souffrance que vivent les  personnes menstruées atteintes d’endométriose ou du syndrome des ovaires  polykystiques par exemple.  

En parlant du cycle autrement, l’objectif est de déconstruire ces pratiques qui  invisibilisent et de créer des espaces pour désapprendre, pour s’ouvrir à de nouveaux  discours qui redonnent toutes ses lettres de noblesse au cycle menstruel. Délions la  parole face à notre sang qui coule! 

Redéfinir notre relation face à la productivité 

Le lien entre le cycle menstruel et la productivité ne semble peut-être pas évident à  première vue, mais il est pourtant bien présent. Actuellement, dans nos sociétés  occidentales, un rythme linéaire où notre énergie se doit d’être au même niveau jour  après jour, est privilégié.  

Dans une société où le cycle serait un enjeu bien compris et assimilé, voire banal,  nous pourrions assister au retour vers un rythme de vie calqué sur celui de la nature,  où il existe des saisons pour planter les graines, d’autres pour fleurir, mourir et se  reposer. 

Parler du cycle autrement et utiliser cet outil si précieux dans l’organisation de notre  horaire nous permettrait assurément d’améliorer notre santé mentale, physique,  émotionnelle et, par le fait même, apaiser notre relation malsaine face à la  productivité. 

Notre cycle menstruel est un rappel quotidien que notre énergie est une ressource  précieuse et surtout, qu’elle a ses limites. Nous devons agir avant d’atteindre  l’épuisement. Pourquoi ne pas cheminer vers plus de respect de soi?  

Un enjeu individuel VS collectif 

De manière générale, les discussions autour du cycle menstruel reposent  présentement sur l’expérience individuelle des personnes menstruées. Et pourtant,  notre cycle est bel et bien un enjeu collectif et féministe.  

En élargissant notre spectre de réflexion, nous prenons conscience qu’il est un outil  utilisé par le patriarcat afin de nous opprimer. Le contrôle du corps des femmes  propre aux cultures patriarcales en est un triste exemple. Dans un effort collectif,  nous nous le réapproprions en signe de résistance, afin de récupérer notre pouvoir,  récupérer des savoirs sur notre corps et notre nature cyclique. 

Nous prenons conscience que le cycle menstruel est un enjeu pour les personnes  trans, non binaires et fluides dans le genre. Celles-ci sont à même de vivre de la 

dysphorie en raison du discours cis-normatif* omniprésent dans notre société. Par  conséquent, l’expérience de ces personnes n’est pas prise en compte. 

Nous prenons conscience que le cycle menstruel, et plus précisément les  menstruations, comportent un enjeu de classe considérant la précarité menstruelle.  Malgré les actions mises en place, beaucoup trop de femmes n’ont toujours pas accès  à des produits menstruels chaque mois. Il faut que ça change! 

Nous prenons conscience que le cycle menstruel est un enjeu d’appartenance  ethnique quand plus de femmes racisées sont touchées par certains problèmes de  santé (endométriose ou fibromes utérins par exemple) et que l’intérêt face aux  enjeux spécifiques vécus par ces femmes demeure limité. De ce fait, les raisons de  cette prévalence spécifique à ces populations restent encore à éclaircir. Néanmoins,  nous pouvons d’ores et déjà y réfléchir en privilégiant une approche intersectionnelle  qui prend en compte les oppressions spécifiques qu’elles vivent.  

En terminant, j’émets le vœu que nous puissions désormais changer le discours  collectif, que notre voix nous permette de parler du cycle menstruel autrement. Nous  sommes des êtres cycliques, il est grand temps que la société et nous-mêmes  reconnaissions notre super-pouvoir!    

*cis-normatif : dans ce cas-ci, un discours qui repose sur la supposition que  seulement les femmes cisgenres (qui vivent selon le genre assigné à leur naissance)  ont des menstruations.