Selon les sources, de 50 % à 80 % des adolescentes et des femmes non ménopausées éprouvent des douleurs menstruelles et pour environ 5 % à 15 %, ces inconforts dérangent sérieusement leur quotidien, au point de devoir garder le lit ou de s’absenter du travail ou de l’école. Les douleurs pelviennes peuvent s’accompagner de douleurs au bas du dos et dans les cuisses, de diarrhée, de nausées, de vomissements, de fatigue, de maux de tête et de fièvre.
On appelle ces douleurs « dysménorrhée primaire ». La « dysménorrhée secondaire » est liée à une cause sous-jacente, une pathologie pelvienne telle que l’endométriose, une inflammation pelvienne, des kystes ovariens ou des fibromes utérins.
Dans ce billet, nous discuterons tour à tour de la vision dominante et de la vision globale féministe qui ont cours au sujet des douleurs menstruelles.

Qu’en savons-nous?

Pourquoi les femmes éprouvent-elles des douleurs avant ou pendant leurs règles? En fait, même au XXIe siècle, la science ne le sait trop. Le cycle menstruel s’entoure de mystère et demeure relativement mal connu des femmes elles-mêmes. C’est encore un tabou, sujet de gêne : par exemple les menstruations ne sont toujours pas les bienvenues en milieu de travail. Les règles s’entourent d’incompréhension et de mépris, ce que révèlent aussi les efforts médicaux pour les supprimer.

La chercheure Karen Messing de l’UQAM souligne depuis des années le manque de recherches et le peu d’intérêt pour la dysménorrhée, question réputée subjective, un « manque de respect face aux problèmes de santé signalés par les femmes dont les hommes sont exempts »1.

Signalons que d’après les médecines orientales, les douleurs menstruelles ne sont pas « normales » ni nécessaires. Elles sont le signe d’un déséquilibre énergétique causé par un stress imposé au corps/esprit, le froid, une énergie Yin stagnante ou le manque de mouvement.

Selon Andrée Hamelin2, qui a fait des recherches approfondies sur la physiologie des menstruations, les conditions de travail (exposition au froid, horaires irréguliers) ou le mode de vie (se coucher tard) s’ajoutent aux autres facteurs de dysménorrhée.

Les autres facteurs qui accentuent les douleurs menstruelles sont aussi le tabagisme, la sédentarité, l’anxiété, le stress, la dépression, les relations intimes stressantes, un indice de masse corporelle trop élevé, les toxiques environnementaux3.

Selon la théorie acceptée dans le milieu médical, la dysménorrhée primaire dont il est question ici serait principalement due à un taux plus élevé de prostaglandines F2α et E2 (molécules pro-inflammatoires) chez certaines femmes durant leurs menstruations.

L’hypothèse biomédicale est vraiment simpliste, affirme Andrée Hamelin, puisque les prostaglandines ne représentent qu’un maillon dans la chaine causale. Cette théorie est utile en médecine conventionnelle parce qu’elle justifie que l’on prescrive des médicaments. Saviez-vous que cette explication est apparue au moment où l’on commençait à commercialiser les anti-inflammatoires?

Notre société médicalise les menstruations et la dysménorrhée

La Société des obstétriciens et gynécologues (SOGC) a complètement réécrit la section de son site Web portant sur les règles, afin de s’adresser à un public plus jeune : YourPeriod.ca/TesRegles.ca (2019). Les jeunes filles sont invitées à se préparer à vivre des douleurs menstruelles : «Il n’y a rien en particulier que vous puissiez faire pour vous préparer à vos premières règles à part vous assurez (sic) d’avoir sous la main des produits d’hygiène féminine et des antidouleurs en vente libre comme l’ibuprofène ou le naproxène.»

La SOGC propose 3 solutions pour contrer les crampes menstruelles : « la chaleur», « les médicaments anti-inflammatoires » et « les contraceptifs hormonaux ». Et en effet la plupart des femmes recourent aux médicaments en vente libre pour se soulager et plusieurs se font proposer des contraceptifs pour «régler leurs problèmes». Selon la SOGC, le premier choix devrait être un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) comme l’ibuprofène (Advil, Motrin) ou le naproxène. Le médicament doit être pris dès le début des règles, à dose maximale journalière et pendant 2-3 jours. À noter que l’aspirine, un peu moins efficace, ne devrait pas être recommandée aux adolescentes en raison de son association au syndrome de Reye.

Le RQASF désapprouve la médicalisation des cycles normaux de la vie des femmes dont témoigne le site de la SOGC. Des commentaires plus approfondis pourraient faire l’objet d’un autre billet.

La dysménorrhée primaire, aussi invalidante qu’elle puisse être pour de nombreuses femmes, n’est pas le signe d’une pathologie, d’une maladie. Pourtant, en consultation, de nombreux médecins prescrivent automatiquement la pilule contraceptive aux adolescentes et aux femmes, en guise de traitement pour les soulager. Tel que mentionné ci-dessus, selon la SOGC, la pilule est appropriée pour réduire les crampes menstruelles.

Mais selon certains médecins, dont John R. Lee et Christiane Northrup, « prendre la pilule à des fins thérapeutiques est injustifiable », surtout à long terme, considérant ses effets indésirables possibles sur la santé osseuse, notamment, et le risque augmenté de cancers hormonodépendants. Ces médecins ont constaté l’efficacité de la progestérone bio-identique pour rétablir l’équilibre hormonal dans les cas de « problèmes de règles », incluant tant douleurs et saignements abondants. Nous avons toutefois précisé que ceux-ci dépassent le cadre de cet article.

Tous les médicaments peuvent provoquer des effets secondaires et ils ne sont pas efficaces pour toutes les femmes ni en toutes circonstances. L’aspirine et l’ibuprofène (Advil, Motrin) comportent des risques (par exemple, risques d’hémorragie et de troubles gastriques ainsi que plusieurs contre-indications pour la première, étourdissements, nausées, diarrhée, pour le second). Selon le RQASF, la solution médicamenteuse renvoie à une vision très restreinte du problème.

Les menstruations, miroirs de soi

Selon la vision féministe de la santé, la médecine conventionnelle fait une erreur fondamentale en ne tenant pas compte de l’ensemble de la personne. On sait depuis longtemps que les causes des divers troubles physiques, dont la dysménorrhée, sont multiples et qu’elles touchent à toutes les dimensions de la personne et de son histoire personnelle, dont les plans physiologique, psychologique, émotionnel et social.

La connaissance et la valorisation du cycle menstruel font selon nous partie d’une démarche d’autosanté féministe. Chaque femme est différente, chaque femme peut apprendre à se connaitre à travers son cycle.

Dans son livre Le sang de la Lune, Andrée Hamelin propose une explication originale structurante de la dysménorrhée, une explication psychosociale ou, si on veut, culturelle. Elle dénonce une triple occultation où l’image du corps, l’image corporelle des femmes, est centrale. Occultation à la fois des organes féminins (cachés dans le corps), de la sexualité féminine (dévalorisée) et du plaisir féminin (peu exploré). Les jeunes filles et les femmes connaissent souvent mal la physiologie de leurs propres organes et de leur cycle menstruel, note Hamelin.

Or, des études montrent que plus les jeunes filles sont bien informées au sujet de leurs menstruations, et plus elles ont une image valorisée d’elles-mêmes, de leur sexualité et de leur plaisir, moins elles éprouvent de douleurs au moment de leurs menstruations. En ce sens, les traumatismes affectifs ou physiques attachés aux organes sexuels pourraient être liés à l’apparition de douleurs menstruelles chez certaines jeunes filles4.

Selon Christiane Northrup, médecin spécialisée en santé des femmes :

Chaque fois qu’une fonction parfaitement normale, comme le sont les menstruations, fait souffrir une majorité d’une population (ici, la majorité des femmes), on peut être sûr qu’il y a un problème sous-jacent sur le plan culturel. 5

Les résultats de la profonde analyse d’Andrée Hamelin s’accordent à l’approche globale de la santé et aux principes de la médecine traditionnelle asiatique, indienne ou chinoise, selon laquelle les règles douloureuses sont le signe d’un déséquilibre, d’une mauvaise circulation de l’énergie. Selon l’Ayurveda (médecine indienne), le déroulement des règles reflète le vécu du mois qui les précède.

Options de soulagement

Des mécanismes neurologiques complexes pourraient expliquer que les crampes menstruelles ressenties mois après mois pourraient sensibiliser des femmes à la douleur et les prédisposer à des douleurs chroniques telles que la fibromyalgie. Raison de plus pour investiguer le fond du problème avec les adolescentes et de chercher pour toutes les femmes des solutions à la dysménorrhée, souligne Hamelin (p. 48).

Les options non médicamenteuses pour diminuer la dysménorrhée sont vraiment nombreuses. En voici quelques-unes. Choisir la démarche et les actions qui nous conviennent, c’est se donner l’opportunité de se découvrir. Il pourrait en résulter de multiples bénéfices sur sa santé globale.

S’écouter: que signifient cette douleur, ces malaises? Mes émotions sont-elles enfouies? Suis-je stressée, et par quoi? Ai-je besoin de repos? De m’accorder du temps? De prendre conscience des déséquilibres dans ma vie? Puis-je changer mes idées sur cette douleur, certains comportements? Surtout, qu’est-ce que mon corps essaie de me dire?

Appliquer de la chaleur: pendant les douleurs, appliquer une bouillotte chaude ou prendre un bain chaud, s’offrir un moment de détente.

Se masser le ventre avec des huiles essentielles (HE)6 pendant les douleurs :

  • HE d’estragon (Artemisa dracunculus) OU de sauge sclarée (Salvia sclarea) : 1 goutte sous la langue et une goutte sur le ventre (puis masser), à renouveler toutes les heures jusqu’à soulagement
  • 1 goutte de camomille allemande (matricaire : Matricaria recutita)
  • Un mélange maison de 5 gouttes d’estragon (Artemisa dracunculus) + 5 gouttes de lentisque pistachier (Pistacia lentiscus) dans 1 c. à thé d’huile végétale d’Arnica

Se nourrir, pour équilibrer son système hormonal: surtout, diminuer les sucres raffinés; privilégier les légumes, fruits colorés et frais, grains entiers, noix, huile d’olive et de coco, poisson gras, graines de lin, gingembre; éliminer certains gras : ceux contenus dans la viande rouge et les produits laitiers; éviter les gras trans et les aliments industriels contenant de l’huile de palme (lire la liste des ingrédients); éviter le café pendant les douleurs.

S’activer physiquement: pendant les douleurs et aussi pour les prévenir, les exercices d’aérobie et d’étirements sont recommandés; les pratiquer sur une base régulière, idéalement quotidienne ou plusieurs fois par semaine; l’activité sexuelle fait également partie des traitements possibles.

Recourir aux plantes, en tisanes ou teinture mère: Achillée millefeuilles (Achillea millefolium); Alchémille (Alchemilla vulgaris); Actée à grappes noires (Actea racemosa); Fenouil, en graines (Foeniculum vulgare); Framboisier, en feuilles (Rubus idaeus), il faut en boire beaucoup et c’est très nutritif; Camomille allemande (matricaire : Matricaria recutita); Valériane (Valeriana officinalis) pour relaxer et mieux s’endormir.

Pratiquer le yoga (et le Qi Gong): recommandé et reconnu pour son efficacité, le yoga permet de rééquilibrer les systèmes hormonal et nerveux (sympathique/parasympathique) et de diminuer le stress; des exercices doux et des étirements précis tels que le cobra, l’arc, le chat et la vache, le poisson peuvent être pratiqués quotidiennement, de même que plusieurs exercices de respiration.

Consulter en acupuncture (réputée très efficace).

Prendre des compléments alimentaires:

  • Huile d’onagre ou huile de bourrache : 6 capsules de 500 mg/jour pendant 3 mois (prévention)
  • Magnésium : en cas de douleurs, 100 mg /2 heures pour un maximum de 1000 mg /jour (selon Northrup, voir note 5)
  • Vitamine B1 : 100 mg/jour (selon la SOGC)
  • Vitamine B6 : 200 mg/jour (SOGC)
  • Vitamine E : 500 mg/jour, deux jours avant et trois jours après le début des règles (SOGC)
  • Omégas 3 (huile de poisson) 2500 mg/jour combinée à de la vitamine B12 (7,5 mg/jour) (SOGC)

Attention : si vous prenez des médicaments, s’informer auprès d’une personne compétente (herboriste, naturopathe, pharmacienne par exemple) des possibilités d’interactions avec certaines plantes.

N.B. : Lorsque la dysménorrhée apparait soudainement après plusieurs années de règles non douloureuses, lorsque les traitements ne soulagent pas, ou si les douleurs apparaissent soudainement et s’intensifient sans soulagement, il est indiqué de consulter, car cette condition pourrait être le signe d’une dysménorrhée secondaire, d’un problème à diagnostiquer.

Attention: si vous prenez des médicaments, s’informer auprès d’une personne compétente (herboriste, naturopathe, pharmacienne par exemple) des possibilités d’interactions avec certaines plantes.

– Recherche et rédaction : Isabelle Mimeault, responsable de la recherche au RQASF, avec la collaboration d’Andrée Hamelin, membre individuelle du RQASF.


Lectures suggérées

Andrée HAMELIN, Le sang de la Lune, La physiologie des menstruations, Sainte-Agathe-des-Monts, Éditions Treize Mères, 2012. Pour une compréhension des menstruations à la fois sensible, approfondie, humaniste et scientifique, mais parfaitement bien vulgarisée.

Marie Pénélope PÉRÈS et Sarah Maria LeBLANC, Sagesse et pouvoirs du cycle féminin : Santé, fertilité, plantes amies et symbolique : découvrez tous les secrets de votre bien-être, Gap (France), Éditions Le Souffle d’Or, 2014. Rédigé par une professeure de yoga et une herboriste, un guide pratique et rempli d’information vulgarisée sur le cycle menstruel.


Notes

1. Karen Messing, La santé des travailleuses, la science est-elle aveugle?, Montréal, Les Éditions du remue-ménage, 2000, p. 203.

2. Andrée Hamelin, Le sang de la lune. La physiologie des menstruations, Sainte-Agathe-des-Monts, Éditions TreizeMères, 2012.

3. Si les sources médicales mentionnent le tabac, seul l’ouvrage de Hamelin fait référence aux toxiques au sens large. Elle s’appuie sur Des Harnais, Julie (1991), Analyse de troubles menstruels chez les ex-travailleuses d’une usine de microélectronique, mémoire de maitrise, Université du Québec à Montréal; et sur Blatter, B. M. et Zielhuis, G.A. (1993), « Menstrual disorders due to Chemical exposures among hairdressers », Occupational Medicine (Oxford), vol 43, no 2, p. 105-106.

4. Sources disponibles dans Hamelin, p. 39-46, ou sur demande.

5. Christiane Northrup, La sagesse de la ménopause, Éditions ADA, 2010, p. 326.

6. Danièle Festy, Ma bible des huiles essentielles. Guide complet d’aromathérapie, Éditions Caractère, 2009.p. 69-70; 122-123; 425-426.