Quel est ce sujet « rarement abordé », « un peu honteux, un peu tabou », en plus d’être assimilé « à la vieillesse » et aux « fameuses bouffées de chaleur »? La productrice Véronique Cloutier a osé en parler dans « Loto-Méno », une série documentaire toujours d’actualité où elle raconte le cauchemar de sa propre ménopause. « Tu as changé ma vie avec ce documentaire »… « Merci tellement d’aider les femmes aux prises avec ce problème quotidien »… « Merci d’avoir mis en lumière tous ces maux, pour que plus jamais personne ne se fasse dire qu’elle est folle et que tout ça, c’est «dans sa tête» »… témoignent des auditrices dans le numéro « Hors-série » du magazine Véro, « Loto Méno : Un guide pratique sur la ménopause » (1).

Pourquoi cette période de la vie semble-t-elle si difficile à traverser pour un grand nombre de personnes au Québec et plus largement en Amérique du Nord, voire en Occident en général? Et pourquoi celles-ci éprouvent-elles autant de confusion face aux multiples options présentées pour se soulager? Ces questions soulèvent de multiples enjeux sociaux et culturels. Notre conception de la santé et de ses cycles de vie y est pour quelque chose. Comment une telle vision négative de la ménopause s’est-elle introduite chez nous? 

Dans ce billet, nous explorons deux thèses qui sous-tendent des visions différentes de la ménopause auxquels correspondent des optiques d’accompagnement qui ont cours.

Les femmes ont soif d’information sur cette étape de leur vie, les statistiques de notre site Ménosecours lancé il y a 10 ans en témoignent.

La ménopause : un « problème d’ovaires » (2)?

Notre vision collective de la ménopause au Québec et en Occident est profondément influencée par la « thèse du déficit ovarien » selon laquelle les femmes sont en « déficit » d’hormones au mitan de la vie.

Cette thèse pour comprendre les malaises des femmes autour de cette période marquant l’arrêt de leurs menstruations a été développée dans les années 1920 et 1930, aux États-Unis, au moment où l’industrie pharmaceutique naissante se consacrait à la recherche et à la commercialisation d’hormones de remplacement. Le concept de déficit hormonal ou ovarien a été aussitôt utilisé comme outil de vente et fut admis et enseigné dans les milieux médicaux (3). Même si elle ne fait pas l’unanimité et que certains médecins expriment leur désaccord, cette conception demeure prédominante et nourrit la « médicalisation de la ménopause » depuis un siècle.

La médicalisation est un processus social par lequel une étape de vie ou un phénomène naturel propre à l’être humain en vient à être considéré et défini comme un problème médical nécessitant un suivi médical, ce qui entraine inévitablement différentes interventions médicales, telles que des tests et des traitements, généralement médicamenteux. Dans l’histoire occidentale, cette médicalisation des cycles de la vie s’observe à partir du début du XXe siècle, alors que se développait une médecine capitaliste (4).

On discute peu la médicalisation des étapes normales de la vie parce qu’elle fait partie intégrante de notre vision de la santé, de nos « lunettes collectives ». On appelle cela la « doxa », sorte de vérité socialement imposée dont la remise en cause expose à l’exclusion et au déshonneur. Mais on en a peu conscience parce que cela fait partie de notre culture profonde, de ce qui est normal, partagé et non contestable.

Le propos ici n’est pas de rejeter la biomédecine, en ce qu’elle concerne la « maladie », ce qui est remis en question est plutôt l’élargissement de celle-ci aux processus naturels de la vie, normalement sains.

Par exemple, les menstruations sont en soi saines, elles ne sont pas à « traiter », nous n’avons pas à les supprimer ou à les modifier avec des molécules chimiques. Les menstruations sont même reconnues comme un cinquième signe vital, rien de moins. Les causes de menstruations difficiles ne sont pas les menstruations mêmes, mais les perturbations fort diverses expérimentées dans nos vies : stress de tout ordre et toxicité de l’alimentation, des relations ou de l’environnement.

La thèse du déséquilibre hormonal global causé par les stress

La seconde explication des problèmes que vivent les femmes à la ménopause rejoint à la fois des médecins et des thérapeutes de médecines holistiques, avec des distinctions quant aux solutions proposées, qui seront davantage explorées dans un prochain billet. 

Selon le Dr John R. Lee, des « symptômes » divers et parfois invalidants tels des seins douloureux, une peau sèche, un « SPM » exacerbé, de l’irritabilité, une baisse de libido, des fibromes utérins, etc., « font partie du syndrome de la préménopause, état ni naturel, ni inévitable qu’il faut plutôt imputer à notre mode de vie, notre culture et notre environnement » (les caractères gras sont de nous) (5). 

Ces « symptômes » dont souffrent de nombreuses femmes aujourd’hui peuvent apparaître jusqu’à 10 à 20 ans avant la ménopause, mais elles ignorent qu’il s’agit de ce « syndrome », affirme ce médecin américain aujourd’hui décédé. Il provient, précise-t-il, d’un « déséquilibre hormonal causé dans la plupart des cas par un excès d’estrogènes et un déficit en progestérone ». Mais il ne s’agit pas de la seule explication, insiste-t-il : les femmes qui les expérimentent ont perdu le contact avec « les cycles et les rythmes de leur corps, leurs sentiments et leur âme. Des femmes qui ont du mal à équilibrer vie de famille et vie professionnelle… » (5). Peut-être sommes-nous nombreuses à nous reconnaître…?

Malheureusement, la réponse offerte aux femmes qui consultent en raison de ces manifestations très diversifiées est de prescrire massivement des médicaments dont des antidépresseurs et surtout des estrogènes, de même que des actes chirurgicaux comme l’hystérectomie. Cette médicalisation à outrance entraine des effets parfois graves sur leur santé, alors qu’une prise en charge beaucoup plus douce existerait.

Le phénomène de « dominance en estrogènes » s’articule à notre mode de vie et à notre environnement pollué, à savoir une alimentation transformée et déséquilibrée, un manque d’activité physique et l’exposition quasi permanente à des perturbateurs endocriniens, sources de xénoestrogènes, c’est-à-dire des estrogènes provenant de polluants présents dans les aliments, les cosmétiques, les plastiques et autres produits de consommation courants. 

La ménopause, ça se prépare: vision globale de la ménopause 

En tant qu’organisme de promotion de la santé, Action santé femmes (RQASF) valorise la prise en charge de notre santé et de nos stress par une saine alimentation, par de l’activité physique quotidienne et un sommeil suffisant sans oublier le recours aux médecines douces lorsqu’il est possible de le faire. Nous faisons valoir que les étapes naturelles de la vie comme la puberté, la grossesse, l’accouchement, la ménopause, le vieillissement, ne sont pas des maladies et par conséquent, ne devraient pas nécessiter des traitements systématiques, être médicalisées. Pour ne pas être médicalisée, la ménopause doit être saisie dans sa globalité et les difficultés vécues, que nous ne nions pas, peuvent alors être appréhendées dans la reconnaissance des spécificités non seulement biologiques, mais aussi psychoémotionnelles et sociales de la personne.

Bien sûr, nous convenons que les menstruations, la grossesse, l’accouchement de même que la ménopause peuvent entrainer des difficultés de santé et des douleurs. Toutefois les humains ont trouvé à travers les âges de multiples moyens de les traverser et de les alléger. 

Les médecines anciennes, qu’elles soient autochtones dans les Amériques, ayurvédique en Inde, chinoise, africaine, ainsi que plus récemment en Occident avec la naturopathie et l’homéopathie, ont toutes en commun de considérer la personne dans son ensemble, dans la globalité de son corps-esprit-âme, de son histoire familiale et sociale.

Sous cet angle de vue, comment les manifestations éprouvées à la ménopause pourraient-elles relever d’une « loterie » (6) et être le fruit du hasard? Du hasard, vraiment? Comme si celles-ci répondaient seulement à une mécanique hormonale, déconnectée de la personne qui les vit. Et magiquement, la prescription d’hormones viendrait combler ce « manque » d’hormones. Posons-nous la question : la nature serait-elle si mal faite? Nous laissant complètement démunies face à notre santé reproductive? Bien sûr, il existe des conditions spécifiques, génétiques notamment, qui peuvent entrainer des souffrances particulières. Toutefois, le nombre de femmes qui en souffrent n’est pas représentatif de la réalité naturelle. 

En exposant deux modèles explicatifs de la ménopause, nous avons voulu, dans ce billet, jeter un peu de lumière sur la vision communément admise de cette étape de la vie qui fait comprendre notre propension à la médicaliser. Dans un prochain article, nous détaillerons davantage nos propositions quant à son accompagnement.

En conclusion, rappelons que toute personne devrait pouvoir choisir l’approche qui lui convient, que ce soit les hormones bio-identiques ou pas, l’homéopathie, la naturopathie, etc., et y consentir de façon éclairée, après avoir reçu au préalable une explication claire des différentes options. L’accès à une information dénuée d’enjeux lucratifs s’avère crucial.


Références

1. Vero. Hors-série. Loto Méno : Un guide pratique sur la ménopause, « Votre opinion : Dites-nous tout! », KO Media Inc., p. 11.

2. La Dre Sylvie Demers, qui consacre sa vie à aider les femmes à la ménopause avec les hormones bio-identiques définit la ménopause en ces termes, dans : Hormones au féminin : Repensez votre santé, Montréal, Éditions de l’Homme, p. 14.

3. Dr Jerilynn Prior, Estrogen’s Storm Season. Stories of Perimenopause, Vancouver, Centre for Menstrual Cycle and Ovulation Research (CeMCOR), 2005, p. 21.

4. Isabelle Mimeault, « La médicalisation de la santé des femmes, au centre de la marchandisation de la santé », Revue de la Ligue des droits et libertés, Vol 39, no2, automne 2020/hiver 2021, p. 33-34, disponible en ligne : https://liguedesdroits.ca/la-medicalisation-de-la-sante-des-femmes-au-centre-de-la-marchandisation-de-la-sante/#_ftn2 .

5. Dr John R. Lee, Dr Jesse Hanley et Virginia Hopkins 1999, 3e éd., traduite en français 2003, p. 19 -20.
6. Vero. Hors-série. Loto Méno : Un guide pratique sur la ménopause, « La loterie des symptomes », KO Media Inc., p. 36.