par Marie-Ève Gagnon, T.S., Association de fibromyalgie de Québec, membre du RQASF

avec la collaboration de Julie Godin, étudiante au doctorat à l’École de travail social, Université d’Ottawa


Les femmes font face à des obstacles uniques dans le domaine médical, notamment lorsqu’elles présentent des maladies complexes ou invisibles, comme la fibromyalgie, l’endométriose, ou les troubles neurologiques fonctionnels. Ces pathologies, difficiles à diagnostiquer, s’accompagnent souvent d’un scepticisme de la part du personnel professionnel de la santé1. Par exemple, pour rendre leur douleur crédible, les femmes se voient obligées d’en démontrer l’évidence au moyen de gémissements, démarches lentes, etc., mais ces actions peuvent faire en sorte que ces douleurs soient jugées comme étant simulées et non réelles2.  Cette situation met en lumière des biais structurels et culturels qui affectent le traitement des femmes dans le système de santé3.

La reconnaissance médicale et ses biais

Historiquement, les douleurs et les symptômes exprimés par les femmes ont été minimisés ou attribués à des causes psychologiques4. Ce phénomène de négation ou de mise en doute des symptômes, parfois appelé « gaslighting médical », reflète des biais inconscients selon lesquels les femmes exagéreraient leurs symptômes ou seraient plus émotives. Des recherches indiquent que plusieurs études documentent un écart notable dans le traitement de la douleur entre les hommes et les femmes aux urgences5. Cela inclut une tendance à administrer les analgésiques aux femmes avec plus de retard ou avec une efficacité moindre que pour les hommes, même dans des conditions similaires de douleur aiguë. Les femmes sont également moins susceptibles de recevoir un traitement adapté à leur degré de douleurs.

Douleurs invisibles : une double peine

Les pathologies dites « invisibles » (comme la fibromyalgie, l’endométriose ou le syndrome de fatigue chronique) ne présentent pas de biomarqueurs clairs, ce qui complique toute démarche vers un diagnostic6. Les femmes qui en souffrent doivent souvent consulter plusieurs médecins avant de recevoir un diagnostic, et les retards peuvent entraîner une aggravation des symptômes. Cette errance médicale est non seulement invalidante physiquement, mais aussi émotionnellement. Le sentiment d’être incomprise ou ignorée peut mener à une perte de confiance envers le corps médical.

Facteurs sociaux et culturels

Les attentes culturelles selon lesquelles les femmes doivent supporter la douleur sans se plaindre amplifient cette problématique. En parallèle, les études scientifiques sur les maladies chroniques, neurologiques ou liées à la douleur ont historiquement exclu les femmes ou ont utilisé des modèles masculins, ce qui laisse un vide dans la compréhension des spécificités féminines7.

Les effets psychologiques

Ce manque de reconnaissance entraîne des répercussions importantes : stress, anxiété, dépression et isolement social. Ces facteurs peuvent eux-mêmes exacerber les symptômes physiques, créant un cercle vicieux8. Certaines patientes rapportent même qu’elles préfèrent ne pas communiquer tous leurs symptômes, de peur d’être perçues comme « difficiles » ou « hystériques »9.

Plaidoyer pour un changement

Plusieurs solutions peuvent être mises en place pour contrer ce phénomène :

  • Éducation du personnel professionnel de santé : Intégrer une formation sur les biais sexistes et culturels concernant les maladies invisibles dans les cursus médicaux.
  • Recherche centrée sur les femmes : Accroître le financement des études sur les maladies qui affectent majoritairement les femmes.
  • Un accès aux services : Favoriser l’accès aux services permettant de soutenir les femmes vivant avec des conditions de santé chroniques, notamment en diminuant les barrières financières, géographiques et les délais d’attente.
  • Sensibilisation : Encourager les patientes à documenter leurs symptômes et à chercher un second avis si elles se sentent ignorées. Encourager les femmes à s’affirmer et à exprimer leurs besoins.

Il est crucial d’agir et de redonner du pouvoir d’agir aux femmes pour que le système de santé reconnaisse et respecte leurs expériences. Une meilleure éducation médicale, une recherche inclusive et une écoute active sont des étapes essentielles pour garantir que toutes les patientes soient entendues et soignées efficacement et adéquatement.

Afin d’aider les femmes à verbaliser le degré de douleur ressentie, l’Association de fibromyalgie de Québec a conçu un outil coloré, disponible dans une version imprimable. L’outil « échelle de la douleur » sert à faciliter la communication entre la patiente et la personne membre du corps médical. Il sert également à permettre à la personne atteinte de fibromyalgie de mieux situer sa douleur dans un continuum et de mieux l’exprimer à son ou sa médecin. Il permet donc au personnel médical d’évaluer plus adéquatement le degré de douleur ressenti par la patiente.

Pour imprimer et plastifier l’outil afin de la transporter avec vous, cliquez ici ou bien sur l’image ci-dessous.


  1. 1. Voir Barker, K.K. (2005). The Fibromyalgia Story: Medical Authority and Women’s Worlds of Pain. Temple University Press, Philadelphia. ↩︎
  2. 2. Voir Birk, L. B. (2013). Erasure of the credible subject: An autoethnographic account of chronic pain. Cultural Studies? Critical Methodologies, 13(5), 390-399. ↩︎
  3. 3. Voir Campbell, F., Hudspith, M., et Choinière, M. (2020). Ce que nous avons entendu: travailler ensemble pour mieux comprendre, prévenir et gérer la douleur chronique. Rapport du groupe de travail canadien sur la douleur. ↩︎
  4. 4. Voir Armentor, J. L. (2017). Living With a Contested, Stigmatized Illness:Experiences of Managing Relationships Among Women With Fibromyalgia. Qualitative health research, 27(4), 462-473. https://doi.org/10.1177/1049732315620160 ↩︎
  5. 5. Voir Wiklund, M., Fjellman-Wiklund, A., Slanacke, B., Hammarstrom, A., & Lehti, A. (2016). Access to rehabilitation: Patient perceptions of inequalities in access to specialty pain rehabilitation from a gender and intersectional perspective. Global Health Action, 9 (1), 1–11. https://doi.org/10.3402/gha.v9.31542 ↩︎
  6. 6. Voir Barker, K.K. (2005). The Fibromyalgia Story: Medical Authority and Women’s Worlds of Pain. Temple University Press, Philadelphia. ↩︎
  7. 7. Voir Campbell, F., Hudspith, M., et Choinière, M. (2020). Ce que nous avons entendu: travailler ensemble pour mieux comprendre, prévenir et gérer la douleur chronique. Rapport du groupe de travail canadien sur la douleur. ↩︎
  8. 8. Voir Barker, K.K. (2005). The Fibromyalgia Story: Medical Authority and Women’s Worlds of Pain. Temple University Press, Philadelphia. ↩︎
  9. 9. Voir Pryma, J. (2017). « Even my sister says I’m acting like a crazy to get a check »: Race, gender, and moral boundary-work in women’s claims of disabling chronic pain. Social science & medicine, 181, 66-73. https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2017.03.048 ↩︎ ↩︎