Par Stephanie-May Ruchat, professeure au Département des sciences de l’activité physique de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Titulaire de la Chaire de recherche de l’UQTR en activité physique et santé maternelle et néonatale et cotitulaire de la chaire en Périnatalité et Parentalité du Regroupement intersectoriel de recherche en santé de l’Université du Québec (RISUQ).

Devenir parent est une des étapes importantes de la vie d’un couple. Savez-vous qu’idéalement, ce projet devrait se préparer avant l’arrivée de l’enfant, et même avant la grossesse? (1) Cette préparation peut toucher différentes sphères de la vie du couple (2), mais dans cet article, il sera question de santé et de saines habitudes de vie du père et la mère biologique du futur enfant et de leur importance pour favoriser la fertilité du couple, ainsi qu’une grossesse et un bébé en santé (1, 3, 4).

La santé des parents avant la conception est aujourd’hui reconnue comme étant « le fondement de la santé de l’enfant tout au long de sa vie ». Gardons donc en tête que ce n’est pas uniquement la mère qui contribue à la santé de son futur enfant, mais que le père a lui aussi un rôle important à jouer lorsqu’il s’agit de transmettre à son futur enfant un « bagage santé » favorable.  Il est aujourd’hui reconnu que les habitudes de vie, comme le tabagisme, la consommation d’alcool et de drogue, l’alimentation ou l’activité physique, mais aussi le statut pondéral, influencent aussi bien notre santé physique que mentale (5). Cependant, il n’est pas toujours facile de changer une habitude de vie puisque de nombreux facteurs interagissent et peuvent rendre l’adoption de saines habitudes de vie ardue (6). Malgré tout, certaines choses peuvent être mises en place pour vous aider à changer vos habitudes de vie et à les conserver, entre autres, donner un sens à votre changement. Ce sens pourrait être de mettre toutes les chances de votre côté pour que votre projet de devenir parent se déroule au mieux.

Pour devenir parent, la première étape est de mettre en route une grossesse ! Cela peut parfois être plus difficile qu’imaginé. En effet, au Canada, entre 10% et 15% des couples sont infertiles, c’est-à-dire qu’après 12 mois de relations sexuelles non protégées, ils n’ont pas été capables de concevoir un enfant.

On sait aujourd’hui que les habitudes de vie influencent non seulement la fertilité de la femme, notamment la fonction ovulatoire, mais aussi celle de l’homme, comme la production et la qualité des spermatozoïdes (7). L’obésité, en hausse depuis plusieurs années, est d’ailleurs en partie responsable de la difficulté grandissante des couples à concevoir un enfant puisqu’elle diminue la qualité et la quantité de spermatozoïdes et augmente les dysfonctions érectiles, et réduit la fréquence des ovulations et des conceptions, en plus de diminuer l’efficacité des traitements de fertilité (8). En plus de contribuer à la santé reproductive du couple, les saines habitudes de vie des parents durant la période préconception jouent également un rôle important sur la santé du futur enfant (3,4), d’où l’importance mise de l’avant par la santé publique de planifier sa grossesse et d’avoir accès à des soins préconception afin de permettre aux futurs parents d’être en aussi bonne santé que possible et en mesure de reconnaître des difficultés réelles et éventuelles.

De saines habitudes de vie préexistantes aident à optimiser la santé de la mère et du fœtus. Par exemple, on sait que la consommation d’alcool, de tabac, et de drogues a de graves répercussions sur le développement du fœtus et donc sur l’enfant à naître (9, 10). Il est donc essentiel de cesser de consommer ces produits avant de devenir enceinte, et ne surtout pas hésiter à demander de l’aide, au besoin. Quant à l’alimentation et l’activité physique, les femmes enceintes qui adoptent une saine alimentation et pratiquent régulièrement de l’activité physique ont moins de risque de développer des complications de la grossesse (11, 12).

Vous vous demandez peut-être comment les habitudes de vie avant la conception et pendant la grossesse influencent de manière aussi marquée la santé de l’enfant tout au long de sa vie. L’explication se base sur le concept des origines développementales de la santé et des maladies, qui suggère que l’environnement intra-utérin dans lequel se développe le fœtus, qui est lui-même influencé par les conditions de vie, les habitudes de vie et la santé maternelle, a des effets à long terme sur la santé du futur enfant. Les mécanismes impliqués reposent sur des processus biologiques complexes, entre autres l’épigénétique. Alors que la génétique se réfère à la forme écrite des gènes, l’épigénétique se réfère à la lecture des gènes: un même gène peut être lu différemment en fonction des marques épigénétiques présente ou absente sur le gène. Une fausse lecture de gènes peut mener à leur dysfonctionnement, au dysfonctionnement des processus biologiques impliquant les gènes et ultimement au développement de maladie. On sait aujourd’hui que les facteurs environnementaux auxquels un individu est exposé, ainsi que ses habitudes de vie, peuvent influencer les processus épigénétiques. Les parents vont donc transmettre à leur futur enfant non seulement un code génétique, mais aussi des marques épigénétiques. Au cours de sa vie, l’enfant sera exposé à différents environnements, le premier étant l’environnement intra-utérin, et ces environnements influenceront les processus épigénétiques. 

Par exemple, on a découvert que le diabète de grossesse, qui est associé à un risque accru de troubles métaboliques chez l’enfant (comme l’obésité et le diabète de type 2) induisait de nombreuses modifications épigénétiques chez le bébé, notamment dans des gènes impliqués dans des maladies métaboliques (13). Ainsi, grâce à l’épigénétique, on sait aujourd’hui que certaines maladies chroniques non transmissibles, comme les maladies cardiovasculaires, l’obésité et le diabète, peuvent aussi prendre naissance durant la période préconception et prénatale. 

Comme le souligne l’initiative des « 1 000 premiers jours » de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (14), la période postnatale ne doit toutefois pas être négligée. Les 1 000 premiers jours de la vie, qui s’étend de la conception aux deux premières années de vie après la naissance, sont déterminants non seulement pour le développement de l’enfant, mais aussi pour la santé de l’adulte qu’il deviendra. À travers cette initiative, l’OMS souligne combien il est important de s’engager, à travers le monde, en faveur de la santé des jeunes enfants avant même leur naissance. Il est donc essentiel de promouvoir des conditions favorables au bon développement du fœtus et du tout-petit et cela passe, entre autres, par la promotion des saines habitudes de vie auprès des femmes et des hommes souhaitant s’engager dans un projet parental. Les habitudes de vie sont influencées par de multiples facteurs qui peuvent faciliter, ou rendre plus difficile, l’adoption de comportements sains : facteurs personnels, sociaux, économiques et environnementaux. L’adoption de saines habitudes de vie et la santé sont donc une responsabilité à la fois individuelle et collective (15, 16).


Références

1. Les soins à la mère et au nouveau-né dans une perspective familiale : lignes directrices nationales. Chapitre 2 : Chapitre 2 : Soins préconception. Éditeur : Gouvernement du Canada. Auteure principale : Elizabeth Shaw, M.D., CCMF, FCMF. Date de modification : 26 avril 2021. Accessible à https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/publications/vie-saine/soins-meres-nouveau-ne-lignes-directrices-nationales-chapitre-2.html

2. Prévoyez-vous avoir un bébé ? Planifiez sa naissance. Éditeur : Meilleur départ : Centre de ressources sur la maternité, les nouveau-nés et le développement des jeunes enfants de l’Ontario. Accessible à https://www.meilleurdepart.org/resources/preconception/pdf/BSpre_brochure_fr.pdf

3. Before the beginning: nutrition and lifestyle in the preconception period and its importance for future health. Auteurs: J. Stephenson, N. Heslehurst, J. Hall, et al. Lancet. 2018; 391(10132): 1830-1841. Accessible à https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29673873/

4. Origins of lifetime health around the time of conception: causes and consequences. Auteurs: T.P. Fleming, A.J. Watkins, M.A. Velazquez et al. Lancet. 2018; 391(10132): 1842-1852. Accessible à https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29673874/

5. L’importance des habitudes de vie. Éditeur : blogue d’actualité et de conseils dans le domaine de la santé « Au cœur de ma santé ». Auteure : Dre Anne-Isabelle Dionne, 21 décembre 2021.  Accessible à https://aucoeurdemasante.ca/activites-physiques/limportance-des-habitudes-de-vie/

6. Comment se motiver à changer ses habitudes de vie ? Éditeur: Organisme Équilibre. Auteure : Dre Stéphanie Léonard, 29 septembre 2015. Accessible à https://equilibre.ca/comment-se-motiver-a-changer-ses-habitudes-de-vie/

7. Lifestyle factors and reproductive health: taking control of your fertility. Auteurs: R. Sharma, K.R. Biedenharn, J.M. Fedor et A. Agarwal. Reproductive Biology and Endocrinology. 2013; 11: 66. Accessible à https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3717046/pdf/1477-7827-11-66.pdf

8. Obésité et fertilité ne font pas bon ménage. Auteurs : M.-H. Pesant, D. Wunder, F. Pralong, V. Giusti. Rev Med Suisse. 2010; 6: 662-5. Accessible à https://www.revmed.ch/view/525502/4271751/RMS_idPAS_D_ISBN_pu2010-42s_sa03_art03.pdf

9. Alcool et grossesse: attention, sujet sensible. Éditeur : Réseau québécois d’action pour la santé des femmes. Auteure : Louise Loubier-Morin, 6 novembre 2015. Accessible à https://rqasf.qc.ca/alcool-et-grossesse-attention-sujet-sensible/

10. Directives cliniques de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. No 349 – Consommation de substances psychoactives pendant la grossesse. Auteurs : A. Ordean, S. Wong, L. Graves. Journal of Obstetrics and Gynaecology of Canada. 2017; 39 (10): 938-956. Accessible à https://www.jogc.com/article/S1701-2163(17)30682-5/fulltext

11. Directives cliniques de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. N° 367-Lignes directrices canadiennes sur l’activité physique durant la grossesse. Auteurs: M.F. Mottola, M.H. Davenport, S.-M. Ruchat et al. Journal of Obstetrics and Gynaecology of Canada. 2018;40 (11):1538-1548. Accessible à https://www.jogc.com/article/S1701-2163(18)30699-6/fulltext

12. Nutrition and maternal, neonatal, and child health. Auteurs : P. Christian, L.C. Mullany, K.M. Hurley et al. Seminars in Perinatology. 2025; 39 (5): 361-372. Accessible à https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26166560/

13. Gestational diabetes mellitus epigenetically affects genes predominantly involved in metabolic diseases. Auteurs : S.-M. Ruchat, A.-A. Houde, G. Voisin et al. Epigenetics. 2013;8(9):935-43. Accessible à https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23975224/

14. Nouvelle série du Lancet: investir dans le développement des jeunes enfants contribue à leur plein éveil et à la prospérité des communautés. Communiqué de presse, 5 octobre 2016, WASHINGTON. Accessible à https://www.who.int/fr/news/item/05-10-2016-investing-in-early-childhood-development-essential-to-helping-more-children-and-communities-thrive-new-lancet-series-finds

15. Déterminants sociaux de la santé et inégalités en santé. Éditeur : Gouvernement du Canada. Date de modification : 14 juin 2022.Accessible à https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/promotion-sante/sante-population/est-determine-sante.html

16. La santé et ses déterminants | Mieux comprendre pour mieux agir. Éditeur : Direction des communications du ministère de la Santé et des Services sociaux. Gouvernement du Québec, 2012. Accessible à https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2011/11-202-06.pdf