La périménopause : quand vieillir devient une maladie

On peut reconnaître une société androcentrée par le fait que l’homme soit considéré au sommet de sa beauté et de son pouvoir vers le milieu de la quarantaine, alors que l’on considère une femme du même âge au début de son déclin. Ainsi, l’industrie très lucrative de l’éternelle jeunesse s’infiltre jusque dans notre perception de nous-mêmes, des cosmétiques à la pharmaceutique en passant par les produits de santé naturels. Alors que, dans nombre de sociétés anciennes, le passage de l’âge de la femme mère à l’âge de la grand-mère constitue un moment honoré et ritualisé, dans nos sociétés contemporaines il devient source d’anxiété et d’autodépréciation. La médicalisation de la santé des femmes pathologise ainsi la ménopause, transformant ce processus naturel et sain en maladie.

Il faut reconnaître que les facteurs de notre société hypermoderne ont contribué à transformer ce passage en moment difficile pour plusieurs femmes. Par exemple, les perturbateurs endocriniens[1] ou le stress constant dérèglent notre système endocrinien et font que plusieurs femmes ressentent des changements désagréables, des chaleurs intenses à la perte de libido, en passant par les troubles de sommeil. Le problème, c’est que ces « signes » de transition deviennent des « symptômes » à traiter. Pourtant, tout comme les signes du cycle hormonal, ils nous indiquent où regarder dans une perspective d’autosoins. Lorsqu’Élise, qui a toujours travaillé pour dix, vient me voir et me dit : « Je ne veux pas prendre d’hormones de synthèse, car j’ai peur de leur impact, mais je ne veux rien changer non plus de ma vie actuelle, je veux garder la même énergie que j’avais à trente ans », je vois les impacts d’une injonction sociétale productiviste qui ne tient pas compte des réalités corporelles et temporelles des femmes. Je me rappelle d’un atelier dans un Centre-Femmes dans lequel je parlais de l’impact de la santé des surrénales sur la production d’oestrogènes lors de la périménopause[2]. Les regards s’allumaient, les mâchoires tombaient, les langues se déliaient : « Au moment de ma ménopause, j’étais tellement stressée, mais je ne voyais pas le lien avec mes bouffées de chaleur » ou « j’ai pris de l’hormonothérapie parce que je me sentais tout le temps fatiguée et je refusais de vieillir… peut-être que j’aurais juste pu m’écouter et me reposer ? ».

Même la série Loto-Méno[3], qui tente de libérer la parole autour de la périménopause, continue en quelque sorte à propager des jugements sur les hormones et sur l’attitude des femmes en périménopause. Ainsi, les protagonistes, et je salue leur courage, partagent comment elles ont changé – comme si elles étaient devenues des monstres : elles ne se reconnaissent plus, elles veulent retrouver la femme qu’elles étaient avant. Loin de moi de diminuer de la souffrance de leurs symptômes, ce qui me touche sont les jugements qu’elles portent sur ces changements – ainsi, elles ne correspondent plus aux standards de productivité, de gentillesse et de douceur attendues d’elles de notre société, devenant maintenant « une vieille mégère » sous le regard patriarcal introjecté.

Quand l’usage des hormones synthétiques ou bio-identiques sert de potion magique pour continuer à être toujours « belle », pleine d’énergie, douce et efficace afin de continuer à faire « comme j’ai toujours fait » ou « comme les autres », il me semble voir là une autre violence internalisée. La même qui nous fait regarder nos rides dans le miroir avec mépris et déception.


[1] Pour plus d’informations sur les perturbateurs endocriniens, consulter les p.19 à 21 du guide sur les menstruations positives et en santé : https://rqasf.qc.ca/campagnerouge/wp-content/uploads/2021/10/Vivre-ses-regles-autrement.pdf

[2] En effet, ce sont principalement les surrénales qui prennent le relais lors de l’arrêt graduel de la sécrétion d’estrogènes par les ovaires, et quand nous sommes épuisées, les surrénales vont notamment détourner le cholestérol dédié aux hormones sexuelles pour fabriquer du cortisol et tamponner les dégâts de l’épuisement.

[3] https://ici.tou.tv/loto-meno/S01E01