Sarah-Maria Leblanc est herboriste-thérapeute accréditée (HTA) spécialisée en santé des femmes et praticienne psychosociale (M.A) qui pratique internationalement, à distance et en personne.

Dans ce billet, tous les noms de mes clientes ont été changés pour préserver l’anonymat.

Dans ma pratique comme thérapeute et formatrice en santé des femmes, je suis confrontée depuis quinze ans de façon quasi quotidienne aux témoignages d’étudiantes ou de clientes affectées par l’approche biomédicale conventionnelle, qui médicalise la santé des femmes.

C’est ainsi qu’au fil du temps, à partir de mon expérience personnelle et professionnelle, j’ai pu construire une pensée réflexive sur la question. C’est à partir de cette expérience que j’écris ce billet. Il sera question ici d’observer la médicalisation à l’œuvre dans le cycle menstruel, les dérèglements gynécologiques, la grossesse et l’accouchement, ainsi que la périménopause.

On parle de médicalisation de la santé des femmes lorsqu’on aborde des phénomènes naturels du corps féminin comme le cycle menstruel, l’accouchement ou la ménopause comme s’ils étaient pathologiques et devaient être « soignés ». Selon le RQASF, dans son article[1]  pour la revue Droits et Libertés, la médicalisation prend racine dans un paradigme mécaniste et positiviste né au 19e siècle, dans les débuts de la médecine scientifique. Devons-nous rappeler que cette médecine a été créée, pratiquée et propagée par des hommes blancs, suite à la diabolisation des guérisseuses populaires et la mise à l’écart des sages-femmes aux 16e et 17e siècles ? C’est ce dont font état Barbara Ehreinreich et Deidre English dans leur enquête « Sorcières, sages-femmes et infirmières[2] », un classique dans les milieux féministes depuis les années 1970. Cet ouvrage nous rappelle comment s’est imposée la profession médicale à ses débuts, en donnant un assaut fatal à la médecine populaire pratiquée par les femmes. Rappelons-nous d’ailleurs les débuts de la gynécologie avec le Dr Sims, qui pour perfectionner ses outils et pratiques a utilisé le corps d’esclaves noires du sud des États-Unis, sans leur consentement et sans anesthésie, afin d’arriver au spéculum que nous connaissons aujourd’hui.

Le cycle menstruel : une ignorance qui fait mal

Comme pour la plupart des femmes, la seule fois où j’ai légèrement entendu parler de mon cycle hormonal dans l’adolescence, ça a été dans mon cours de biologie au secondaire.  En gros, le message n’était pas d’écouter et d’apprendre à connaître son corps, c’était plutôt : « prenez la pilule si vous ne voulez pas tomber enceinte ». Il est vrai qu’on n’entend en général parler du cycle qu’en rapport avec la reproduction. Comme le souligne Sophie Bessis[3], le contrôle du corps des femmes a toujours eu comme objectif premier le contrôle de la maternité. Il est dès lors peu étonnant que notre cycle soit principalement abordé par le biais de sa fonction reproductive. Pour revenir à la pilule, si la contraception synthétique a constitué une réelle révolution féministe dans les années 70, elle a aussi contribué à développer plusieurs problèmes de santé chez les femmes et les a éloignées de la connaissance de leur cycle au naturel et du pouvoir personnel qu’elle donne. [4]

Depuis quinze ans, je constate l’immense surprise des femmes quand elles découvrent dans des ateliers ou consultations toutes les informations que peut nous donner notre cycle sur notre santé générale. Combien de femmes me disent : « j’aurais tout donné pour recevoir ces connaissances dès le début de mon adolescence » ? Dans ma pratique, je dois composer avec le profond sentiment de frustration et de trahison que vivent les femmes d’avoir été éloignées aussi longtemps de leur corps. Plusieurs personnes qui viennent me voir se sont fait prescrire la pilule lors de l’adolescence pour des raisons qui dépassent largement la contraception : acné, sautes d’humeur, crampes menstruelles, saignements abondants ou même dépression ! Certaines de ces femmes-là l’utilisent depuis quinze ans, vingt ans… et vivent un sentiment doux-amer lorsqu’elles se rendent compte qu’elles peuvent avoir une belle peau, des menstruations douces, une période prémenstruelle simple, sans cette dernière. La prescription de ces hormones synthétiques n’est pas banale et sans impact : on sait maintenant, par exemple, à quel point les estrogènes peuvent augmenter les risques d’accident cardiovasculaires ! Pour son ouvrage « J’arrête la pilule[5]», Sabrina Debusquat a investigué pendant un an les impacts de la pilule contraceptive sur notre corps et sur l’environnement et nous invite à faire la transition vers un cycle au naturel. La pensée communément admise et relayée, cependant, est que les bénéfices d’une contraception synthétique dépassent les risques pour notre santé, même en continu. En effet, la lucrative suppression des menstruations qui encourage les femmes à ne plus avoir leurs règles par le recours aux hormones synthétiques en continu est souvent banalisée et encouragée. Nasrine Bessaïh [6] nous parle ainsi du discours d’Elsimar Coutinho, un gynécologue reconnu relié au Depo-Provera®et au Seasonale®, qui propage l’idée douteuse que les femmes étaient autrefois en état de gestation quasi permanent, les menstruations sont donc anormales et il faut donc les supprimer. Le message transmis (et largement relayé par les publicités) est que pour devenir une femme émancipée, il nous faut nous libérer de notre cycle.

Enfin, la médicalisation du cycle infantilise les jeunes et moins jeunes femmes, comme si l’on prenait pour acquis que ces dernières n’étaient pas assez responsables pour gérer leur contraception. Les femmes ne sont pourtant pas un troupeau de femelles irresponsables que l’on doit protéger d’elles-mêmes ! Dans une approche féministe, on pourrait dès l’adolescence et lors des suivis gynécologiques apprendre aux jeunes filles et aux femmes à bien connaître leur cycle à travers l’observation des signes de fertilité et la prise de température, au lieu d’éviter le sujet de la symptothermie par peur des conséquences. Ainsi, avec de l’éducation autour de l’impact des habitudes de vie et de la nutrition sur la santé des femmes ainsi que de l’information claire et bien vulgarisée sur les différentes sortes de contraception synthétique et leurs impacts respectifs, les femmes de tous les âges seraient mieux en mesure de faire des choix ajustés à leurs valeurs et besoins.

Les déséquilibres du système reproducteur : la pilule, la chirurgie ou … rien !

Alice, qui souffre d’endométriose, entre ce jour-là dans mon bureau avec anxiété. Elle s’affale sur le fauteuil et me dit : « Ma gynécologue m’a dit que si je ne prends pas la pilule, je risque de ne jamais pouvoir avoir d’enfant ! » Julie, prise avec le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), déclare, très sérieuse : « Sans ce progestatif, mon insulinorésistance va se transformer en diabète et je peux mourir. » Fatima quant à elle, me partage : « Mon médecin m’a dit que je n’ai pas le choix de faire une chirurgie le plus vite possible. Il se peut qu’ils m’enlèvent une trompe et un bout d’utérus. Il m’a dit que ce n’est pas grave parce que j’ai déjà des enfants ! » Des paroles comme celles-là semblent extrêmes et pourtant, j’en entends toutes les semaines. Attention : il ne s’agit pas ici de mettre la faute sur le personnel médical. Cette façon de voir les choses fait partie d’une violence institutionnalisée, systémique, qui considère qu’il n’y a que deux solutions pour traiter les déséquilibres gynécologiques : la chirurgie ou la pilule. Dans ce système binaire, les femmes sont malheureusement trop souvent culpabilisées et traitées d’irresponsables si elles choisissent d’essayer de contrôler ou traiter leur déséquilibre en passant par d’autres moyens ou même de combiner l’approche biomédicale et les approches naturelles.

Concrètement, je constate qu’une femme qui souhaite être autonome dans son chemin de santé se heurte à plusieurs écueils : pouvoir simplement avoir accès à son dossier de santé est parfois compliqué, il faut trop souvent insister et être bien préparée à argumenter pour pouvoir passer des tests sanguins hormonaux, échographies ou IRM.  Et discuter avec le personnel médical est souvent ardu. En ce qui concerne l’endométriose, une femme qui souffre de cette maladie attend en moyenne cinq ans pour obtenir un diagnostic et peut parfois attendre jusqu’à vingt ans. En effet, elle se fera dire nombre de fois que les crampes menstruelles sont normales et qu’il n’y a pas d’autre solution que de prendre la pilule et/ou des analgésiques. De plus, les examens pratiqués couramment, comme l’échographie, ne détectent que très peu les lésions. Alors que cette méthode est largement utilisée dans les cas de cancer, peu d’hôpitaux proposent aux femmes la laparoscopie, une chirurgie exploratoire qui, malgré son côté invasif, est pourtant LA méthode la plus efficace de diagnostiquer l’endométriose.

Lorsqu’une femme se plaint de crampes menstruelles douloureuses et se fait dire que c’est normal qu’il faille simplement prendre des analgésiques et attendre que ça passe, cela ne l’encourage pas à reprendre son pouvoir et tenter de comprendre ce qui cause ces douleurs – qui ne sont JAMAIS normales, faut-il encore le préciser. La médicalisation de la santé des femmes fait en sorte que nous cherchons les causes de nos problèmes dans la biologie de « notre corps défaillant » et les solutions dans l’aide médicale destinée à combler ces manquements que l’on croit intrinsèques à notre corps, au lieu de voir nos dérèglements comme la conséquence de nos modes de vie collectifs ou encore de la non-santé de notre environnement.

La bonne nouvelle, c’est que de plus en plus de femmes prennent conscience des violences qu’elles vivent dans leur parcours de santé, qu’elles soient insidieuses ou évidentes. Le fait de penser que la femme est « anormale, hystérique ou folle » lorsqu’elle se plaint de douleurs, qu’elle doit être en tout temps « souriante, stable et douce » ou qu’elle devient « laide, inutile et flétrie » lorsqu’elle vieillit est intégré en nous depuis des siècles et fait de la réappropriation de notre corps un processus avec ses hauts et ses bas. Reprendre du pouvoir sur notre santé, cela se fait pas à pas, avec bienveillance pour soi-même, compréhension des enjeux systémiques et solidarité pour toutes celles qui sont dans le même bateau.

Pour lire les autres sections de cet article, veuillez cliquer ci-dessous

Porter la vie et accoucher: normal!

La périménopause : quand vieillir devient une maladie


[1] https://liguedesdroits.ca/la-medicalisation-de-la-sante-des-femmes-au-centre-de-la-marchandisation-de-la-sante/

[2] https://www.cambourakis.com/tout/sorcieres/sorcieres-sages-femmes-et-infirmieres/

[3] https://journals.openedition.org/anneemaghreb/3151?lang=ar

[4] Lire à ce sujet notre article : https://rqasf.qc.ca/campagnerouge/medicalisation/menstruations-en-sante/

[5] https://www.leslibraires.ca/livres/j-arrete-la-pilule-avc-migraines-sabrina-debusquat-9782290157671.html?login=1?u=102447

[6] https://www.ababord.org/La-medicalisation-du-cycle