Récemment, je suis tombé sur un livre qui m’a fait du bien, m’a inspiré ce billet… et m’a réconcilié avec mon rôle de proche aidant. Qu’est-ce qu’un proche aidant? Le proche aidant, c’est celui qui soigne, c’est celui qui, au sens propre « s’occupe avec attention de, a soin de ». Plus que tout, c’est celui qui soigne sans guérir. La précision est fondamentale.
Soigner pour guérir
Aux yeux de la médecine, soigner pour guérir va de soi, car pour elle, la guérison est la seule finalité du soin. À ses yeux, celle de la réussite thérapeutique, de la performance, de l’efficacité, de la rentabilité économique, celle du taux de rendement et de la rotation de lits, ne pas guérir est un désaveu. Désaveu des capacités de la médecine, désaveu de l’omnipotence des médecins dans notre société, désaveu du pouvoir de l’industrie pharmaceutique et de celui de ses molécules. Quand on sait qu’au Québec, le budget de la santé se chiffre en dizaine de milliards de dollars, on devine que ce désaveu ne doit pas être publicisé. Le contribuable risquerait alors de se demander, à bon droit, à quoi peuvent bien servir tous ces milliards… s’ils ne le guérissent pas.
Soigner sans guérir
Dans un contexte de médecine de la performance économique, le soin sans guérison n’a aucune valeur. Ce soin sans valeur, c’est celui des aînés, celui des handicapés physiques et mentaux, celui des malades chroniques. C’est le soin qui permet au malade de vivre avec sa maladie, tout simplement. C’est cette simplicité qui fait toute sa noblesse, et distingue le soin humanisé du soin technocratisé.
C’est le soin artisanal, modeste, répété, attentionné, le soin sans glamour et souvent, sans satisfaction de réussite : parler, réconforter, masser, frictionner, soulager, laver, essuyer, nourrir, habiller, consoler…
Voilà des gestes bien difficiles à répertorier dans l’inventaire technicisant d’un protocole de soin. Et pourtant… Cette humanité du soin relève d’abord de la relation humaine. Il s’appuie sur une certaine intuition de la relation à autrui, sur une sensibilité, une perception. (…) Toutes les formes (qu’épouse ce soin) semblent aujourd’hui condamnées à une relative invisibilité, ou sont évoquées au mieux avec une légère condescendance, reléguées tout en bas d’une hiérarchie implicite de soin.
– Claire Marin
Le partenaire invisible
Cette invisibilité qu’évoque Claire Marin, c’est celle du proche aidant. Cette invisibilité, elle est le secret le mieux gardé de notre système de santé. Sans le proche aidant, ce système ne pourrait pas fonctionner. Pourtant, aucun des soins dispensés par l’aidant n’est reconnu, salué ou rétribué.
Les proches aidants dispensent gratuitement des soins qui, autrement, coûteraient cinq milliards de dollars par année, allégeant ainsi la charge du système de santé et épargnant aux gouvernements des millions de dollars en frais d’hospitalisation et de soins de longue durée, en établissement et à domicile. – Société canadienne de la sclérose en plaques
Dans son documentaire-choc Partenaire invisible, Sylvie Rosenthal illustre bien la réalité des aidants : abnégation de soi, isolement, épuisement, appauvrissement, maladie.
Personne n’est à l’abri de devenir un aidant naturel du jour au lendemain ou d’en avoir besoin. La situation précaire des aidants naturels est alarmante. Si rien n’est fait pour améliorer leur sort, nous allons nous retrouver malades et mourir seuls à notre domicile, peu importe notre âge. Est-ce notre choix de société ?
Redécouvrir tout le sens du verbe soigner
Guérir est un long processus, un processus incertain et coûteux, aussi bien pour celui qui souffre, que pour celui qui accompagne. Réduire le soin à la guérison, faire de la guérison le seul horizon valable de la médecine, c’est passer à côté de ce qui fait l’humanité du soin.
Le manque d’humanité, n’est-ce pas ce qu’on reproche souvent à la médecine comme à notre système de santé? Le reproche est justifié, mais nous pourrions aussi nous l’adresser, et ce faisant, nous offrir un petit examen de conscience collective.
Mise à jour
Ce billet a été publié par le quotidien Le Devoir, dans sa rubrique Idées, le 19 octobre 2016.