TW / Avertissement de contenu : ce texte aborde des sujets tels que les violences sexuelles, le trauma, la douleur physique et la précarité menstruelle. Si ces sujets sont sensibles pour vous, prenez soin de vous avant, pendant ou après la lecture.
Par Eugénie Fontaine, chargée de la campagne du RQASF sur l’équité menstruelle, Le Fil Rouge, avec la collaboration d’Isabelle Mimeault, responsable de la recherche au RQASF
Chaque année, le Québec souligne 12 journées d’action contre les violences faites aux femmes, du 25 novembre au 6 décembre. Ces dates ont été choisies pour rappeler, de manière symbolique, le lien entre violences faites aux femmes et droits humains.
Le 25 novembre marque la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, décrétée par l’ONU. Le 6 décembre est la Journée de commémoration du féminicide collectif de Polytechnique Montréal, où 14 femmes ont perdu la vie en raison de leur genre. Ces journées nous rappellent l’importance de continuer à agir pour que toutes les femmes puissent vivre dignement, dans une société sans violence1.
Quand les traumatismes de l’enfance affectent la santé gynécologique
Depuis longtemps, les liens entre violences physiques ou sexuelles et leurs effets psychologiques, comportementaux et même psychiatriques sont bien établis. Ces conséquences ne se manifestent pas toujours immédiatement : elles peuvent apparaître plusieurs années après les faits. Il est encore moins connu que les violences sexuelles peuvent provoquer des séquelles corporelles durables et affecter la santé physique des victimes sur le long terme2. Plus récemment, des recherches indiquent que ces traumatismes peuvent également laisser des traces dans le corps, notamment au niveau de la santé gynécologique.
Deux problèmes gynécologiques touchent particulièrement les femmes : les fibromes utérins et l’endométriose. Une étude américaine de Chandler de 2006 sur 103 femmes a révélé que 70 % des femmes ayant subi des violences sexuelles avec viol souffraient de douleurs pelviennes chroniques3. Une étude menée auprès d’environ 100 femmes étatsuniennes vivant avec des symptômes dépressifs a montré que la prévalence des douleurs pelviennes chroniques variait selon l’histoire de violences sexuelles : 22 % chez les femmes sans antécédents de violences, 26 % chez celles ayant subi des violences sans viol, et 70 % chez celles ayant été victimes de viol4.
De nouvelles études indiquent que ces problèmes sont plus fréquents chez les femmes ayant vécu des violences durant l’enfance ou l’adolescence, ce qui suggère une association plausible entre traumatismes précoces et risque accru de ces affections.
Les fibromes utérins, sont des tumeurs bénignes de l’utérus, très courantes et hormonodépendantes. Selon différentes études, on estime qu’environ 20 à 30 % des femmes en âge de procréer développeront des fibromes avec des symptômes (douleurs, saignements abondants, pression pelvienne, etc.) avec une incidence deux à trois fois plus élevée chez les femmes noires comparativement aux femmes blanches5 6. Bien que les causes exactes de ces différences observées restent inconnues, les recherches montrent que les déterminants sociaux de la santé jouent un rôle majeur dans le développement des fibromes. Ces facteurs sociaux et économiques, tels que le revenu, l’éducation, le logement, l’emploi et les conditions de travail influencent l’état de santé des populations. Les personnes racisées sont exposées de manière disproportionnée, dès l’enfance, à ces conditions défavorables liées à un racisme structurel, ce qui augmente leur risque de développer des affections comme les fibromes7. L’exposition précoce à la violence pourrait également influencer des mécanismes biologiques et des comportements favorisant le développement de fibromes à l’âge adulte8. L’étude Black Women’s Health Study, menée sur plus de 5 000 femmes noires étatsuniennes, a montré que l’incidence de fibromes utérins augmentait de 34 % après des violences sexuelles dans l’enfance et 3 % à l’âge adulte9. De manière générale, l’abus physique et sexuel durant l’enfance a été associé à un risque accru de développer des fibromes10. De plus, certaines études indiquent que des facteurs comme le stress psychosocial, la discrimination raciale ou les abus vécus dans l’enfance peuvent favoriser le développement des fibromes utérins. Cependant, certains éléments pourraient atténuer ces effets négatifs du stress vécu dans le corps, notamment un soutien émotionnel et social solide dès l’enfance11. Un stress intense dès le jeune âge, notamment les traumatismes sexuels et le faible soutien social, peut perturber durablement l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPA), qui contrôle la régulation du stress et des hormones sexuelles comme les œstrogènes, la progestérone et la testostérone, créant ainsi un environnement favorable à certains problèmes de santé12.
L’endométriose est une maladie caractérisée par la présence de muqueuse endométriale (qui normalement tapisse l’utérus) à un autre endroit que la cavité utérine13. Cette maladie inflammatoire est souvent très douloureuse et représente 64 à 82 % des cas de douleurs pelviennes chroniques (DPC)14. Ses symptômes sont multiples : règles très douloureuses, douleurs pelviennes persistantes, fatigue importante ou encore règles dites hémorragiques15. Bien que le lien entre cette maladie et les violences sexuelles reste peu exploré16, les quelques recherches à ce jour indiquent que les abus sexuels durant l’enfance sont associés à un risque accru d’endométriose17. Selon les hypothèses actuelles, les traumatismes vécus tôt dans la vie pourraient déclencher un stress post-traumatique (TSPT), entraînant une augmentation des hormones du stress et de l’inflammation. Cette réaction pourrait affaiblir le système immunitaire et favoriser la croissance du tissu endométrial18. Une étude de 2012 menée par Bertone-Johnson souligne que la maltraitance pendant l’enfance et l’adolescence peut provoquer des facteurs de stress durables, qui, par le biais de l’inflammation qu’ils entraînent, pourraient favoriser l’apparition de l’endométriose19. Une autre étude, dirigée par Holly R. Harris, a analysé le lien entre violences physiques et sexuelles durant l’enfance ou l’adolescence et l’endométriose confirmée par laparoscopie (une intervention chirurgicale peu invasive permettant d’examiner l’intérieur de l’abdomen et du pelvis à l’aide d’une caméra). Les résultats montrent que le risque de développer une endométriose augmente significativement en cas d’antécédents de violences sexuelles, et que ce risque est encore plus élevé lorsque les violences sont multiples et chroniques (négligence, violences sexuelles et physiques)20.
Les violences sexuelles sont encore très peu abordées dans les études médicales. La littérature sur le lien entre problèmes gynécologiques et violences sexuelles reste peu abondante. La première raison de ce manque de données solides est liée aux nombreuses limites méthodologiques : il ne serait ni éthique ni réalisable de mettre en place des études contrôlées, prospectives, multicentriques ou randomisées21. De plus, les échantillons étudiés sont souvent petits ou non représentatifs, limitant ainsi la généralisation des résultats. La fiabilité statistique et la portée générale restent limitées en raison des petits échantillons cliniques22 23. Pourtant, de plus en plus d’expert·e·s insistent : pour comprendre certains problèmes gynécologiques, il faut aussi considérer le vécu traumatique.
Le corps parle par là où il a souffert, rappelle Violaine Guérin, gynécologue et endocrinologue, présidente de l’association Stop aux violences sexuelles24
Guérin déclare également qu’on oublie trop souvent que la violence sexuelle est une combinaison de traumatismes psychique, sensoriel et corporel25.
À risque de précarité menstruelle
L’endométriose et les fibromes utérins peuvent rendre l’expérience menstruelle plus douloureuse ou complexe, selon les personnes. De nombreuses femmes et personnes menstruées rapportent des douleurs accrues, des saignements plus abondants, ou un cycle menstruel irrégulier.
Les femmes ayant subi des agressions sexuelles pendant l’enfance vivent également d’autres troubles comme la dysménorrhée (douleurs pendant les règles), le syndrome prémenstruel (douleurs avant les règles) ou les dyspareunies (douleurs lors des rapports sexuels)26.
Ces situations peuvent compliquer la gestion des menstruations, tant sur le plan physique que sur le plan pratique et financier, ce qui peut accroître le risque de précarité menstruelle.
La précarité menstruelle désigne la difficulté d’accès aux produits menstruels, que ce soit de manière régulière ou ponctuelle, faute de moyens financiers. À ces produits indispensables s’ajoutent d’autres coûts liés aux menstruations, comme les antidouleurs souvent nécessaires, le remplacement de sous-vêtements ou de draps tachés, ou encore les consultations auprès de professionnel·le·s de santé27.
Mais la précarité menstruelle ne se limite pas à l’argent. Elle existe également lorsque les filles, les femmes et les personnes menstruées n’ont pas d’endroit pour se changer, n’ont pas accès à l’information sur leur cycle ou n’ont pas d’espace où en parler librement.
Vivre avec des fibromes ou l’endométriose entraine des flux menstruels plus abondants et fréquents, ce qui nécessite davantage de produits. Cela complique la gestion des règles, augmente les dépenses mensuelles et s’ajoute aux coûts liés à la douleur et aux soins.
Les produits menstruels sont aussi essentiels que le papier de toilette. Quand on va aux toilettes, on utilise du papier pour se nettoyer : c’est normal et nécessaire. De la même façon, lorsqu’on a ses règles, il est indispensable d’avoir des produits menstruels pour être à l’aise, se sentir bien et prendre soin de son corps. Ces produits sont essentiels pour le confort, la santé et la dignité, et devraient être accessibles partout.
Prendre en compte les violences pour améliorer la santé des femmes
Depuis une vingtaine d’années, l’idée d’un lien entre les violences sexuelles et les problèmes gynécologiques commence à être reconnue et étudiée. Mais il est nécessaire de franchir un pas de plus !
Cet angle mort, la manière dont les violences sexuelles, les problèmes gynécologiques et la précarité menstruelle s’entrecroisent, est souvent ignoré et exige un changement de paradigme. Comprendre les liens entre traumatismes, santé gynécologique et accès aux produits menstruels en toute dignité permettrait d’ouvrir la voie à une meilleure prévention, à des soins plus adaptés et à un accompagnement qui tient réellement compte des réalités vécues par chaque femme et personne menstruée.
Ce changement de paradigme doit se construire dans le domaine de la recherche et de la médecine : un véritable investissement dans la recherche en santé des femmes, avec un engagement à mieux comprendre leur santé globale, à approfondir les liens entre traumatismes, enjeux gynécologiques et conditions de vie, et à décloisonner les dimensions biologiques, psychologiques et sociales qui influencent leur bien-être. Ce changement ne peut advenir uniquement dans les laboratoires et les cabinets médicaux. Il repose aussi sur notre capacité collective à croire les femmes, à briser les tabous, à soutenir les survivantes. Il demande également de donner accès à des soins variés, tant médicaux qu’alternatifs, de même qu’à des produits menstruels gratuits partout où c’est nécessaire.
Références
- 1. CSF, 2025. Journées d’action contre les violences faites aux femmes. Édition 2025. https://csf.gouv.qc.ca/egalite-et-societe/journees-action-contre-violence-aux-femmes/ ↩︎
- 2. Thomas, J. L. (2015). Les conséquences des violences sexuelles sur la santé physique : revue de la littérature. Rev Fr Dommage Corp, 3(2), 253. ↩︎
- 3. Nguyen, D. (2020). Lien entre violences sexuelles et endométriose : données de la littérature et perception de la douleur (Doctoral dissertation). ↩︎
- 4. Thomas, J. L. (2015). Les conséquences des violences sexuelles sur la santé physique : revue de la littérature. Rev Fr Dommage Corp, 3(2), 253. ↩︎
- 5. Wise, L. A., Palmer, J. R., & Rosenberg, L. (2013). Lifetime abuse victimization and risk of uterine leiomyomata in black women. American journal of obstetrics and gynecology, 208(4), 272-e1. ↩︎
- 6. Boynton-Jarrett, R., Rich-Edwards, J. W., Jun, H. J., Hibert, E. N., & Wright, R. J. (2011). Abuse in childhood and risk of uterine leiomyoma: the role of emotional support in biologic resilience. Epidemiology, 22(1), 6-14. ↩︎
- 7. Admasu, S., Sitarik, A., Martin, C. L., Harmon, Q. E., Wise, L. A., Baird, D. D., … & Vines, A. I. (2025). Childhood Social and Economic Disadvantage and the Risk of Uterine Fibroids among Black Women. American Journal of Epidemiology, kwaf143. ↩︎
- 8. Boynton-Jarrett, R., Rich-Edwards, J. W., Jun, H. J., Hibert, E. N., & Wright, R. J. (2011). Abuse in childhood and risk of uterine leiomyoma: the role of emotional support in biologic resilience. Epidemiology, 22(1), 6-14. ↩︎
- 9. Nguyen, D. (2020). Lien entre violences sexuelles et endométriose : données de la littérature et perception de la douleur (Doctoral dissertation). ↩︎
- 10. Berndt, S. L., Ribeiro, L. W., Rowlands, I., Doust, J., & Mishra, G. D. (2024). Childhood adversity and risk of endometriosis, fibroids, and polycystic ovary syndrome: a systematic review. Fertility and Sterility. ↩︎
- 11. Wise, L. A., Palmer, J. R., & Rosenberg, L. (2013). Lifetime abuse victimization and risk of uterine leiomyomata in black women. American journal of obstetrics and gynecology, 208(4), 272-e1. ↩︎
- 12. Wise, L. A., Palmer, J. R., & Rosenberg, L. (2013). Lifetime abuse victimization and risk of uterine leiomyomata in black women. American journal of obstetrics and gynecology, 208(4), 272-e1. ↩︎
- 13. Wise, L. A., Palmer, J. R., & Rosenberg, L. (2013). Lifetime abuse victimization and risk of uterine leiomyomata in black women. American journal of obstetrics and gynecology, 208(4), 272-e1. ↩︎
- 14 Nguyen, D. (2020). Lien entre violences sexuelles et endométriose : données de la littérature et perception de la douleur (Doctoral dissertation). ↩︎
- 15. Guérin, V. (2019). Endométriose et violences sexuelles.
https://www.stopauxviolencessexuelles.com/wp-content/uploads/2019/01/190108-Auditorium-16h00-GUERIN-Violaine-Endome%CC%81triose.pdf ↩︎ - 16. Nguyen, D. (2020). Lien entre violences sexuelles et endométriose : données de la littérature et perception de la douleur (Doctoral dissertation). ↩︎
- 17. Berndt, S. L., Ribeiro, L. W., Rowlands, I., Doust, J., & Mishra, G. D. (2024). Childhood adversity and risk of endometriosis, fibroids, and polycystic ovary syndrome: a systematic review. Fertility and Sterility. ↩︎
- 18. Nguyen, D. (2020). Lien entre violences sexuelles et endométriose : données de la littérature et perception de la douleur (Doctoral dissertation). ↩︎
- 19. Nguyen, D. (2020). Lien entre violences sexuelles et endométriose : données de la littérature et perception de la douleur (Doctoral dissertation). ↩︎
- 20. Nguyen, D. (2020). Lien entre violences sexuelles et endométriose : données de la littérature et perception de la douleur (Doctoral dissertation). ↩︎
- 21. Nguyen, D. (2020). Lien entre violences sexuelles et endométriose : données de la littérature et perception de la douleur (Doctoral dissertation). ↩︎
- 22. Boynton-Jarrett, R., Rich-Edwards, J. W., Jun, H. J., Hibert, E. N., & Wright, R. J. (2011). Abuse in childhood and risk of uterine leiomyoma: the role of emotional support in biologic resilience. Epidemiology, 22(1), 6-14. ↩︎
- 23. Berndt, S. L., Ribeiro, L. W., Rowlands, I., Doust, J., & Mishra, G. D. (2024). Childhood adversity and risk of endometriosis, fibroids, and polycystic ovary syndrome: a systematic review. Fertility and Sterility. ↩︎
- 24. Guérin, V. (2019). Endométriose et violences sexuelles.
https://www.stopauxviolencessexuelles.com/wp-content/uploads/2019/01/190108-Auditorium-16h00-GUERIN-Violaine-Endome%CC%81triose.pdf ↩︎ - 25. Sergent, H. (2019). Entrevue : Violences sexuelles : « Certaines maladies, comme les fibromes et l’endométriose, sont surreprésentées chez les victimes ». 20 minutes. https://www.20minutes.fr/societe/2411867-20190109-violences-sexuelles-certaines-maladies-comme-fibromes-endometriose-surrepresentees-chez-victimes ↩︎
- 26. Thomas, J. L. (2015). Les conséquences des violences sexuelles sur la santé physique : revue de la littérature. Rev Fr Dommage Corp, 3(2), 253. ↩︎
- 27. RQASF. (2023). La précarité menstruelle. https://rqasf.qc.ca/lefilrouge/precarite-menstruelle/ ↩︎



