Par Maude Vézina, PhD en Santé des Populations
Le rapport intitulé Santé mentale et violence sexiste, ce que les femmes ont à dire. Expériences dans les services publics : point de vue de femmes psychiatrisées ayant vécu de la violence, réalisé en 2023 par le Regroupement de femmes de la région de la Capitale-Nationale (RGF-CN), explore les répercussions de diagnostics psychiatriques sur la « santé mentale » et le vécu de violences sexistes par certaines femmes. À noter que la violence sexiste fait référence à des comportements à caractère sexuel à l’endroit d’une personne, à travers divers moyens (technologique, physique, ou autres), sans que ceux-ci ne soient désirés ni consentis. Ces comportements sont souvent basés sur le sexe ou l’identité de genre.
Ce rapport est basé sur une étude réalisée au préalable, dont le questionnement principal était : Comment les enjeux liés à l’expérience de la psychiatrisation et de la violence sexiste influencent-ils l’expérience des femmes au sein des services publics, dont ceux propres à la santé, aux services sociaux et aux services judiciaires ? Des entretiens ont été menés auprès d’intervenantes d’organismes communautaires féministes membres du RGF-CN et auprès de femmes ou femmes trans psychiatrisées vivant ou ayant vécu de la violence sexiste.
Diagnostic
Selon le rapport, au moins 50% des femmes utilisant les services d’organismes communautaires féministes auraient en général reçu un diagnostic psychiatrique et seraient considérées comme psychiatrisées (prise en charge psychiatrique). L’approche psychiatrique utilisée, basée principalement sur le diagnostic, entraîne souvent un plan de traitement incomplet. Cela place le symptôme, plutôt que la personne et son vécu, au premier plan.
Recevoir un diagnostic peut être vécu autant positivement que négativement par une personne. Cela dépendra de ses besoins, de son sentiment d’avoir été écoutée et comprise par la ou le professionnel ayant diagnostiqué l’enjeu de santé, et, également, de la nature du diagnostic et de ce qu’il engendre. Il est donc important de se questionner quant aux bienfaits de ces diagnostics, comparativement à leurs conséquences.
Un lien étroit existe entre « santé mentale » et violence : il est fréquent qu’une femme psychiatrisée ait, au cours de sa vie, été victime de violences (interpersonnelle, conjugale, ou sexuelle de façon plus large). C’est pourquoi chez elles un diagnostic psychiatrique posé sans approche personnalisée peut se vivre comme une violence de plus.
Le diagnostic est souvent lié à une prise de médication (parfois non adaptée à la problématique ciblée), mais il peut conduire également à une stigmatisation sociale, accentuant un sentiment de détresse déjà existant.
Résultat : une roue partiellement thérapeutique qui ne s’arrête pas. Si le diagnostic peut ainsi parfois être utile pour permettre l’accès aux services de santé, il peut également éloigner la possibilité pour la femme de recevoir l’attention personnalisée dont elle a besoin.
En raison des effets mixtes de ces diagnostics, certaines femmes en font un refus, sur la base notamment de ne pas s’y reconnaître, ou de tout simplement ne pas vouloir être étiquetées. Ce qu’elles souhaitent, par-dessus tout, est plutôt d’être considérées de façon complète/globale.
Services
Il y a beaucoup d’individus qui vivent des détresses psychologiques importantes, puis j’ai l’impression qu’ils ne prennent pas le temps, les services publics ne prennent pas le temps d’aider ces gens-là, ils vont pallier avec une médication. Mais je me dis, tu sais, si on prenait le temps de les écouter, puis d’être là, puis de leur offrir des bonnes ressources ?
[Témoignage tiré de l’étude]
L’expérience avec les services publics est souvent mal vécue par les femmes psychiatrisées, dont les soins prodigués sont influencés par une patientèle élevée et une attitude thérapeutique parfois trop standardisée. Cela laisse malheureusement peu de place pour la personne derrière le symptôme.
Parmi le personnel de santé rencontré dans le cas d’une affection psychologique, des femmes psychiatrisées soulèvent des ressentis plutôt négatifs à l’égard de psychiatres, en particulier concernant l’angle strictement biomédical de leur profession. La satisfaction envers les soins prodigués par les médecins généralistes (en médecine familiale) semble quant à elle mitigée. Ce personnel professionnel possède une posture de plus grande proximité avec leur patientèle, ce qui peut faciliter la relation de confiance. Toutefois, la qualité du suivi dépend également de leurs ressources et de leurs compétences interpersonnelles, favorisant ou non la confiance.
Systèmes
Trois principales catégories de systèmes sont sollicitées dans le cadre de plans de traitements psychiatriques au Québec : le système de santé, le système de justice, et le système de services sociaux.
C’est certain qu’aujourd’hui, je n’ai pas beaucoup confiance aux médecins, puis aux travailleurs sociaux, puis aux intervenants, etc. Tu sais, je sais que ce n’est pas tous les professionnels qui sont, je vais dire, incompétents là, mais il reste que moi, la façon que j’ai été traitée, c’était vraiment inacceptable. Ce n’est pas comme si j’avais rencontré juste un professionnel, là, j’ai rencontré vraiment plusieurs médecins, plusieurs travailleurs sociaux, un seul psychiatre, j’ai rencontré des intervenants. Puis il y en a certains qui m’ont aidée, mais ceux dans le public, vraiment pas.
[Témoignage tiré de l’étude]
Le système de santé comporte ses propres limites en ressources (principalement : temps, quantité de professionnel(le)s versus quantité de patient(e)s, budget), ce qui crée des pressions sur les services offerts et créent souvent des situations de services peu personnalisés.
Au sein du système judiciaire, il n’est également pas rare pour une femme psychiatrisée de rencontrer des obstacles au rétablissement de ses droits dans le cas d’abus, pour la plupart, liés à de la violence conjugale. Parmi ces obstacles : des préjugés ou attitudes négatives envers leur situation de la part du personnel du système judiciaire.
Ces préjugés ou attitudes négatives peuvent ressembler à de la banalisation du vécu des participantes ou encore à la reprise erronée par les officiers de justice des faits que présente la femme, ce qui condamne celle-ci à ne pas pouvoir utiliser le rapport officiel comme preuve adéquate pour une éventuelle poursuite judiciaire.
Un diagnostic psychiatrique nuit également à la considération initiale d’une plainte, selon le motif que la personne portant plainte serait fragilisée dans ses propres perceptions, diminuant sa crédibilité. Cela témoigne d’une grande nécessité de former davantage l’ensemble du personnel professionnel du système judiciaire concernant la nature complexe de situations d’abus et de psychiatrisation.
Les femmes psychiatrisées sont également en fréquentes interactions avec le système des services sociaux, principalement la protection de la jeunesse et autres services impliqués dans la gestion légale de la coparentalité. En raison de la nature délicate et incomprise de la psychiatrisation, certaines femmes peuvent entre autres être soupçonnées de négligence envers leur enfant en raison de leur état de santé, sans preuves tangibles. Elles peuvent également être contraintes à naviguer publiquement dans des situations de violence conjugale sans grande aide concrète de la part d’intervenantes ou intervenants. Tout cela réitère le fort besoin de sensibilisation des professionnel(le)s impliqué(e)s dans les différents systèmes et services disponibles pour les femmes psychiatrisées.
Discriminations
Les femmes psychiatrisées vivent donc différentes formes de discriminations et d’injustices tout au long d’un parcours déjà complexe. Parmi ces discriminations figurent celles liées à leur santé psychologique, ou sanisme, qui entravent leur accès aux soins et services ainsi qu’au respect auxquel elles ont droit. Notons également la discrimination basée sur le sexe, ou sexisme, qui se présente pour ces femmes dans différentes interactions au cœur de leur parcours de soins/services. Toutes ces attitudes engendrent des injustices d’accès aux services, ce qui amplifie leur sentiment d’impuissance, aggravant ainsi la fragilité de leur état. Il y a donc présence d’un phénomène cyclique, créé par une accumulation de dysfonctionnements systémiques, dans lequel les femmes psychiatrisées se retrouvent malgré elles. Tout cela contribue à ce qu’elles se retrouvent à vivre de la violence supplémentaire à un vécu déjà marqué de violences.
Résistance individuelle et collective
Quelles options s’offrent à une personne se situant à la croisée de dysfonctions systémiques, comme cela semble être le cas pour plusieurs femmes psychiatrisées ? Choisir d’accepter les services tels qu’offerts et se préparer aux potentielles conséquences, ou plutôt choisir de résister aux mesures en place, quitte à ne pas pouvoir en bénéficier ? À mi-chemin entre ces options, et en créant éventuellement de nouvelles voies intermédiaires, les femmes unissent leurs voix pour dénoncer ces situations. Incarnant une résistance tant individuelle que collective, elles se joignent notamment aux organismes communautaires qui agissent en complémentarité aux services publics.
RÉFÉRENCES
- Katharine Larose-Hébert, Alexis Hieu Truong, Marie-Hélène Deshaies, Julia Léonard, Émilie Rochefort, en collaboration avec la Maison Marie-Rollet, le Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale, Relais-femmes, Violence Info, Viol-Secours, Véronique Fortin, Annick Legault, Sonia Trudel. (2023). Santé mentale et violence sexiste, ce que les femmes ont à dire. Expériences dans les services publics : point de vue de femmes psychiatrisées ayant vécu de la violence.
- UQAM. (s.d.). Définitions. Repéré à : https://harcelement.uqam.ca/sexisme-et-violences-a-caractere-sexuel/definitions/
- Gouvernement du Canada. (2025). À propos de la violence fondée sur le sexe. Repéré à https://www.canada.ca/fr/femmes-egalite-genres/violence-fondee-sexe/a-propos-violence-fondee-sexe.html



