par Maude Vézina, Ph.D.  en Santé des populations, bénévole au RQASF

Recommandations internationales

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’approche sage-femme devrait se retrouver au centre de la première ligne de soins périnataux en tant qu’experte de l’accouchement physiologique. Non seulement la sage-femme possède une expertise dans la gestion de l’accouchement et du suivi prénatal, mais son expertise s’étend également aux niveaux des soins du nouveau-né (suivi post-natal), de l’allaitement et de la planification familiale. 

Situation au Québec

Au Québec, le modèle de soins périnataux prévoit un partage de soins entre différentes professions : la médecine de famille, la gynécologie/obstétrique, l’infirmière praticienne spécialisée, et la sage-femme. Or, en pratique, ce qu’on observe est différent. D’une part, la dernière politique provinciale de périnatalité ciblait que 10% des parents puissent avoir accès aux services d’une sage-femme avant 2018. Les données sont, en 2023, en-dessous de cette cible : au-dessus de 95% des femmes accouchent présentement à l’hôpital avec l’aide d’un.e médecin et uniquement 4% des accouchements se font accompagnés par une sage-femme au Québec. Les listes d’attente se font par contre grandissantes, signe d’une demande supérieure à l’offre de soins, ce qui soulève un questionnement : Pourquoi existe-t-il un écart si important, dans la province, entre l’accès et l’utilisation des services/soins biomédicaux (médecine de famille, gynécologie/obstétrique) et l’accès/utilisation des services/soins d’une sage-femme ? 

Recherches sur le sujet

Quelques études se sont penchées sur cette question et ont tenté d’identifier quelques facteurs qui ont conduit aux conditions actuelles de la profession sage-femme au Québec. Parmi ces facteurs se retrouvent notamment ceux historiques et idéologiques/sociologiques : si la profession de sage-femme s’est vue historiquement écartée de la gestion thérapeutique de la périnatalité lors de la montée des progrès de la médecine au début du XXe siècle, ce sont ensuite des soulèvements idéologiques et d’ordre féministes qui ont permis de raccrocher cette profession au système de soins et d’affirmer son importance, à la fois socialement et médicalement. Car l’approche sage-femme est une approche féministe par son essence-même : elle est centrée autour du choix éclairé des femmes, de tout parent. Elle insiste sur la nécessité de pouvoir choisir tant son suivi de grossesse que les interventions et autres actes qui sont réalisés sur son corps pendant son accouchement ainsi que sur celui du bébé. Elle permet aux parents, directement ou indirectement, de se réapproprier l’évènement de la grossesse et de l’accouchement en tant qu’évènement non seulement biomédical, mais également social.

La thèse

Aucune recherche n’avait encore exploré le point de vue des parents sur les facteurs influençant l’utilisation et la non-utilisation des services d’une sage-femme dans la région de Québec. Dans le cadre de ma thèse de doctorat en Santé des populations (Université d’Ottawa), c’est ce que j’ai choisi de documenter. L’étude a été conduite en 2021, principalement autour d’entretiens individuels avec des mères et pères de la ville de Québec et en périphérie. Les résultats recueillis démontrent notamment que parmi les facteurs influençant le plus le choix du type de suivi prénatal se retrouvent les antécédents médicaux, le statut de parité, la grossesse de la mère de la femme, le milieu de vie et l’éducation (le domaine d’études). À ces facteurs s’ajoutent quelques autres, qui surviennent plutôt en amont du processus décisionnel, soit : les idéologies relatives à la naissance, l’environnement social des parents, les facteurs environnementaux (distance par rapport aux services, saison pendant laquelle l’accouchement aura lieu), les critères d’accès à la sage-femme et des facteurs d’ordre émotif. Le contexte sanitaire et les connaissances et informations en matière de périnatalité sont également des facteurs influençant l’utilisation ou la non-utilisation des soins d’une sage-femme par les parents. Le paragraphe suivant approfondira certains de ces résultats.

Les résultats

L’expérience antérieure, bonne ou mauvaise, influence positivement ou négativement le choix d’un suivi prénatal, qu’il soit biomédical ou sage-femme. Certaines idéologies concernant la grossesse et l’accouchement teintent également le type de suivi choisi. La conception de la grossesse et de la vie comme étant un évènement normal dans la vie reproductive pourra faire tendre vers une approche sage-femme. Alors que la conception de la grossesse comme étant un évènement à haut risque de complications pourra inciter davantage un parent à rechercher une approche biomédicale, orientée autour de la gestion des complications potentielles. La culture joue son propre rôle dans cette influence : elle oriente les conceptions sociales concernant, entre autres, la vie, la santé, la maladie et la mort. Des personnes issues de cultures différentes percevront la natalité différemment et choisiront potentiellement des types de suivis différents. L’approche sage-femme est donc sollicitée en partie par des femmes provenant d’origines ethnoculturelles différentes de celle québécoise. Cette recherche n’a cependant que très peu abordé l’influence de la culture sur le type de suivi prénatal choisi ; cette question demeurerait néanmoins intéressante à creuser pour des recherches ultérieures en contexte québécois. 

L’environnement social autour des parents est un facteur déterminant dans les décisions périnatales de ces derniers. Ainsi, les informations partagées au sein de l’entourage rapproché d’un parent peuvent teinter les décisions périnatales de celle-ci/celui-ci. Différentes peurs alimentent également le choix d’un type de suivi. Parmi ces peurs, il est intéressant de constater que certaines sont totalement opposées : certaines personnes craignent l’hôpital et préfèrent se retrouver le plus loin possible du milieu hospitalier, alors que d’autres craignent d’accoucher hors de l’hôpital. Par ailleurs, le contexte sanitaire pandémique des dernières années a permis une remise en question du milieu hospitalier comme celui par défaut pour l’accouchement. Certains parents ont constaté que ce milieu présentait ses propres risques pour la santé (ex : contraction d’infections nosocomiales, exposition à des interventions chirurgicales pour certaines non nécessaires), et qu’ainsi aucun milieu d’accouchement n’est à risque zéro. Cela permet éventuellement un questionnement nouveau : 

De – Quel milieu d’accouchement ne représente aucun risque ?

Vers – Quel milieu d’accouchement présente des risques avec lesquels je me sens confortable?

Finalement, les connaissances et informations nuancées en matière de périnatalité semblaient peu accessibles, selon certains parents. Bien que l’information soit disponible sur certaines plateformes gouvernementales ou autres, elle n’est pas suffisamment répandue en amont de la grossesse et l’approche sage-femme demeure, pour certain.e.s, encore à démystifier et imprécise malgré l’information disponible sur le sujet. Ainsi, cela implique que l’information en matière de périnatalité aurait avantage à circuler plus amplement dans divers lieux de fréquentation (Internet, centres communautaires, milieux scolaires, milieux professionnels, etc.) de façon à permettre un accès à l’information et une intégration de l’information avant la survenue de la grossesse. Ce timing permettrait aux parents de se retrouver dans un état d’esprit plus réceptif et moins émotif pour pouvoir intégrer des nouvelles informations. Il semble également que plus de sensibilisation et informations nuancées quant aux différents professionnel.le.s en périnatalité serait bénéfique pour les parents.

Conclusion

Ces quelques résultats démontrent que le choix est central en périnatalité : chaque parent doit pouvoir choisir le contexte de soins qui lui convient durant la période périnatale. Peu importe l’approche choisie, l’accès à l’information et l’accès aux services/soins sont des outils favorisant la prise de décisions éclairées. C’est ce que défend la pratique sage-femme, ainsi que la Coalition pour la pratique sage-femme et ses nombreux organismes membres. Présentement, les démarches gouvernementales pour permettre un tel choix demeurent toutefois limitées. Non seulement le Projet de loi 15 vient-il entraver certains piliers de la pratique sage-femme, notamment son autonomie de pratique difficilement acquise au Québec – voire, en lutte constante pour l’acquérir –, mais aucune nouvelle politique de périnatalité n’a-t-elle également été rédigée depuis celle de 2008 dont l’horizon des cibles à atteindre se terminait en 2018. Des actions politiques seraient donc à entreprendre, à ajuster, à modifier et clarifier, pour permettre une chose a priori simple : l’accès, pour la population, aux différents services en périnatalité ainsi qu’à l’information nuancée et nécessaire pour prendre des décisions éclairées.


Ce texte est un court résumé de la thèse Étude exploratoire de l’utilisation et la non-utilisation des services d’une sage-femme dans la région de Québec : facteurs influençant les trajectoires de soins, sur laquelle il s’appuie. Pour de plus amples informations, vous pouvez consulter : https://ruor.uottawa.ca/handle/10393/44152. L’embargo qui protège l’accès public du document sera soulevé en octobre 2024, moment à partir duquel il sera en accès libre.