La Ligue des droits (LDL), dont le RQASF est membre, est une organisation de défense de droits indépendante qui adopte une « approche globale » en matière de droits humains, tout comme le RQASF en ce qui concerne la santé. La Ligue prône l’universalité, l’indivisibilité et l’interdépendance des droits humains… qui a pour pendant, au RQASF, concernant la santé : l’union corps esprit, l’inséparabilité de l’être humain, sa connexion complexe et historique avec son environnement social, économique et physique.

Par ce texte, le RQASF souhaite donner son appui aux organismes de défense de droits pour une réforme de la loi P-38 respectueuse de la dignité humaine. Ce qui signifie de prendre acte des abus de droits liés au recours excessif à cette mesure exceptionnelle. Les pratiques coercitives en santé mentale traumatisent et nuisent à la santé des personnes visées. Dans le contexte où de nombreuses personnes souffrent de problèmes socioéconomiques complexes, de stigmatisation sociale ou se retrouvent à la rue, il est impératif d’humaniser nos pratiques pour la mise en œuvre du droit à la santé au Québec. Ce qui devrait signifier agir, en amont, sur les déterminants de la santé.

Dans un mémoire essentiel déposé le 24 novembre 2024 à l’Institut québécois de réforme du droit et de la justice, au sujet de la Loi P-38Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, la Ligue des droits et libertés rappelle les principes qui devraient selon elle guider le législateur afin de « Penser les législations en matière de santé mentale à la lumière des droits humains ». 

S’appuyant sur les données et les recherches des organismes de défense de droits en santé mentale tels que l’AGIDD-SMQ et Action autonomie, de même que sur le droit international, le mémoire de la LDL en appelle à un changement de paradigme en matière de législation en « santé mentale » au Québec. Parce que tout cadre législatif est potentiellement porteur de changements culturels profonds, de nature à modifier les rapports sociaux et à influencer les stéréotypes qui ont cours dans une société donnée.

Le mémoire de la Ligue propose au législateur d’adopter comme cadre d’analyse l’interdépendance des droits de la personne et du droit à la santé. Il expose le changement de paradigme que prescrit cette perspective de droits humains en ce qui concerne les législations en « santé mentale ». La LDL rappelle que la Loi P-38 est supposée être une loi d’exception, ce qu’elle n’est pas, d’après plusieurs organisations de défense de droits en « santé mentale ». Le texte souligne, enfin, les obligations des États d’agir contre la stigmatisation et les préjugés à l’égard des personnes vivant avec des « enjeux de santé mentale », notamment par l’adoption de mesures ciblant les déterminants de la santé.

Une vision psychosociale plutôt que coercitive

La Ligue utilise la Convention relative aux droits des personnes handicapées pour éclairer sa perspective psychosociale sur les droits des personnes vivant des « enjeux de santé mentale ». En utilisant cet outil, on voit que des barrières sociétales peuvent entrainer un «handicap psychosocial» pour les personnes psychiatrisées, comme l’expliquent l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) dans leur guide Mental health, human rights and legislations : Guidance and practice (2023) :

Le handicap psychosocial résulte de l’interaction entre des personnes ayant des problèmes de santé mentale réels ou perçus et des barrières comportementales et environnementales qui empêchent leur participation pleine et effective à la société sur la base de l’égalité avec les autres. La discrimination, la stigmatisation et l’exclusion sont des exemples de ces barrières. Ce terme vise à refléter une approche sociale plutôt que médicale des expériences mentales et émotionnelles, en mettant l’accent sur les barrières comportementales et environnementales qui restreignent la participation égale d’une personne à la société (cité à la page 3 du mémoire de la LDL).

Ainsi, la Loi P-38 sensée protéger les droits des personnes vivant avec des problèmes de « santé mentale » devient au contraire un outil d’oppression, dans son application, comme le documentent depuis des dizaines d’années les organismes cités plus haut.

Les données d’Action autonomie démontrent en effet que « l’application de la loi P-38 n’a rien d’exceptionnel ; que les droits des personnes concernées sont très souvent bafoués (durée de la garde préventive, justice procédurale, interprétation large et arbitraire de la dangerosité, etc.) et que l’expérience s’avère souvent traumatisante pour les personnes subissant la garde en établissement forcée » (LDL, p. 4). L’hospitalisation psychiatrique dans des chambres aux fenêtres étroites munies d’outils de contentions peut être vécue comme un emprisonnement. De plus, plusieurs entraves aux droits de la personne ont été relevées : interdiction de communiquer librement avec ses proches, vie privée bafouée, expression des émotions fortement réprimée, par exemple (LDL p. 5).

Au Québec comme partout dans le monde, les législations en matière de « santé mentale » doivent être améliorées, soulignent l’Organisation mondiale de la santé et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) dans le document précité. Ce dernier peut servir de guide pour repenser nos lois.

La Ligue rappelle que l’interdépendance des droits signifie que la réalisation d’un droit est liée à celle des autres droits. Par conséquent, le « droit à la santé » des personnes vivant avec des « enjeux de santé mentale » ne doit pas servir de prétexte pour imposer des soins non consentis à des personnes « prétendument » dangereuses. En particulier, cette loi d’exception, à laquelle on devrait recourir avec parcimonie, ne doit pas devenir la norme.

Le « droit à la santé » tel que mis de l’avant par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels auquel le Canada et le Québec ont adhéré devrait nous inspirer comme société à prôner la prévention par des politiques publiques. En effet le droit à la santé ne se limite pas aux soins : « il englobe plutôt tous les éléments qui influent sur l’environnement d’un être humain tout au long de sa vie. Ces déterminants sociaux incluent notamment le statut socioéconomique, le logement, la sécurité alimentaire, l’éducation, l’origine ethnique, le genre, l’environnement sain et bien d’autres. » (LDL, p. 7).

Selon le guide de l’OMS et du HCDH cité par la LDL : 

Il est essentiel de mettre fin aux pratiques coercitives dans le domaine de la santé mentale – telles que l’internement forcé, le traitement forcé, l’isolement et la contention – afin de respecter les droits des personnes qui utilisent les services de santé mentale. La coercition est préjudiciable en termes de santé physique et mentale, car elle éloigne les personnes des systèmes de santé mentale et de soutien. En outre, de nombreuses personnes souffrant de troubles mentaux et de handicaps psychosociaux ont subi des traumatismes au cours de leur vie. Lorsque la violence, la coercition et les abus se produisent dans les services de santé mentale, les personnes ne sont pas seulement déçues par le service, elles peuvent être retraumatisées et leurs difficultés initiales peuvent être aggravées. (p. 55 du guide, cité à la page 10 du mémoire de la LDL)

Comme on pourrait s’y attendre, les études démontrent que les pratiques psychiatriques coercitives ciblent davantage les personnes autochtones, les personnes racisées et les personnes en état d’itinérance (p. 12).

Le changement de paradigme attendu implique en substance de changer le regard par lequel les personnes vivant des « enjeux de santé mentale » sont vues comme des «objets de soins», par un regard radicalement différent qui les reconnait comme « sujets de droit » (p. 13).

Le RQASF, qui reçoit chaque année des appels désespérés de proches de personnes maltraitées par le système en raison de l’application d’une loi qui banalise les abus de droits à l’encontre de personnes en crise, joint sa voix à la Ligue des droits et libertés et aux autres organismes de défense de droits afin que les pratiques coercitives ne soient appliquées qu’en cas d’absolue nécessité. 

Nous vous invitons à signer la « Déclaration commune contre un nouveau recul des droits humains au Québec », initiative de l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ), du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ)  ainsi que de la Ligue des droits et libertés du Québec (LDL).

Isabelle Mimeault, responsable de la recherche au RQASF